• La solitude et le besoin d'amour. (Thème: Seuls avec tous)

    Un très bel interview qui permet de faire un lien entre l'amour et la solitude, extrait de PHILOSOPHIE MAGAZINE N°121: "Pourquoi avons-nous besoin d'être aimés?"

     

    Nicolas Fargues / Marcela Iacub / Vincent Delecroix. On refait le Banquet !

     

    Dans le “Banquet” de Platon, une nuit entière est nécessaire à Socrate et à ses interlocuteurs pour répondre à la proposition de Phèdre qui les a conviés à faire l’éloge de l’amour. C’est en fidélité à cet événement que nous avons invité trois personnalités hautes en couleur – l’écrivain Nicolas Fargues, la juriste Marcela Iacub et le philosophe Vincent Delecroix – à converser. Sous la verrière du magnifique bar de l’Hôtel Particulier Montmartre, à Paris, ils ont mobilisé leur expérience autant que leurs références pour chercher à savoir si l’amour n’est pas d’abord et avant tout un besoin et quelle place il faut lui faire dans nos existences.

    Vincent Delecroix

    Philosophe spécialiste de Søren Kierkegaard, ce professeur à l’École pratique des Hautes Études est capable de redonner consistance à la question des preuves de l’existence de Dieu aussi bien que de se pencher sur le chant ou sur le deuil. Grand Prix de l’Académie française pour son essai Le Tombeau d’Achille (Gallimard, 2008), il vient de publier Non ! De l’esprit de révolte (Autrement).

    Marcela Iacub

    Juriste et chercheuse au CNRS née à Buenos Aires en Argentine, elle a développé une réflexion originale traitant de l’évolution des mœurs, qui défend, au sujet de la prostitution ou de la procréation artificielle, la liberté radicale des individus. Dans son dernier ouvrage, La Fin du couple (Stock, 2016), elle envisage comment surmonter la crise du couple contemporain en multipliant les possibilités d’attraction entre les êtres

    Nicolas Fargues

    Écrivain, grand voyageur, il a dirigé l’Alliance française à Madagascar et a également travaillé pour la télévision. Il rencontre le succès en 2002 avec One Man Show (2002, P.O.L). Depuis J’étais derrière toi (P.O.L, 2006,), qui retrace une crise de couple, jusqu’à son dernier récit, Je ne suis pas une héroïne (P.O.L, 2018), où il se met avec finesse dans la peau d’une jeune fille noire d’aujourd’hui, il donne à entendre les tourments et les ambivalences sentimentales de ses contemporains

    Vincent Delecroix : Depuis le Banquet de Platon, les philosophes n’ont cessé de s’interroger sur la nécessité d’aimer. Mais ils se sont peu interrogés sur le besoin d’être aimé. Cela suppose une conversion du regard. Pourquoi ? La nécessité d’aimer est consubstantielle à la philosophie : l’amour est le moteur de l’Éros philosophique – c’est-à-dire de l’élévation de l’âme vers les idées –, alors que le besoin d’être aimé, lui, est pris en mauvaise part. D’abord, parce que c’est un besoin, ce qui est toujours mal vu. Ensuite, parce que ce besoin trahit une faiblesse, un manque d’autonomie. Or l’autonomie, c’est fondamental. Le sommet de la vie éthique, c’est l’autarcie, l’indépendance. Par conséquent, s’il y avait quelque chose comme un besoin originaire d’être aimé, l’aspiration à l’autarcie serait menacée dans son principe. Certes, nous devons tous entretenir la philia, l’amitié, dit Aristote. Mais la philia n’est pas liée à un besoin. C’est le surcroît de la vertu. Et elle ne compromet pas l’autarcie, elle la confirme. Elle permet à chacun d’être confirmé dans son indépendance. Dans ce cadre, considérer qu’il y aurait un besoin d’être aimé inscrit dans la nature humaine serait un aveu de faiblesse inadmissible.

     

    Nicolas Fargues : Mais, personnellement, partagez-vous cette méfiance ?

    « Le besoin d’amour ? Au mieux, une affirmation tragique de la finitude ; au pire, une faiblesse de caractère, un narcissisme exacerbé, un culte du Moi  »

    Vincent Delecroix

    V. D. : En partie, oui. Reconnaissons déjà que nous, Modernes, avons beaucoup concédé au besoin d’être aimé. Il est au cœur de notre vision du développement de l’enfant, dont on considère à juste titre qu’il a besoin de soins pour grandir. Il est au cœur de la vie sociale, où le besoin de reconnaissance réciproque est partout affirmé. Mais il est également au centre de la psychologie contemporaine et des magazines qui ne cessent de marteler que le Moi a besoin d’être confirmé dans le regard des autres. Enfin, en philosophie, il est au cœur de l’idée, affirmée par la phénoménologie, que le rapport à l’autre est premier. Or, si l’on cesse un instant d’être moderne et que l’on adopte la position des classiques, que découvre-t-on dans ce besoin d’être aimé ? Au mieux, une affirmation tragique de la finitude ; au pire, une faiblesse de caractère, un narcissisme exacerbé, un culte du Moi.

    « L’amour que le chien a pour son maître est unilatéral. Pourquoi ne pas envisager de bâtir les liens affectifs sur cette base ? »

    Marcela Iacub

    Marcela Iacub : Je vois les choses autrement. Si l’on prend le recul que nous donne l’histoire des institutions, on peut affirmer que le grand modèle de la modernité est Robinson Crusoé. Il figure l’individu accompli qui peut se passer de tout lien personnel et significatif avec autrui. Notre modernité est bâtie sur cet idéal isolationniste. Depuis les années 1970, on a construit les grandes institutions de la vie privée à partir de cette utopie, comme si nous étions des êtres qui n’avaient pas besoin des autres. Or une société conçue de cette manière n’est pas viable. Les études sur l’isolement et la solitude le montrent. Dans les pays qui ont poussé le plus loin la modernité familiale, c’est devenu un problème de santé publique : à force d’être seuls, les gens en sont malades, déprimés… Ils perdent leur travail, leur estime d’eux-mêmes, etc. Et même quand ils sont ensemble, ils se sentent seuls parce que les relations de couple ont été conçues comme essentiellement détachables. Le philosophe Charles Fourier avait anticipé cette évolution au début du XIXe siècle, au moment où l’individualisme se mettait en place juridiquement avec l’adoption du Code Napoléon. Il dit en substance : « Vous avez fait du couple le socle de la vie sociale, vous allez finir tout seuls. Vous oubliez que la richesse des individus tient au nombre de liens qu’ils sont capables de former. » Aujourd’hui, la société pense que les seuls êtres qui ont véritablement besoin de liens, ce sont les enfants avec leur mère. Même quand cela se passe mal, on surprotège ce lien. Mais une fois qu’ils sont devenus majeurs, tout se passe comme s’ils n’avaient plus besoin d’aucun lien. On bâtit la société sur une alternative : soit le couple, soit la solitude. Et ce couple, on le conçoit selon un schéma de réciprocité délétère. On a remplacé les anciennes contraintes du mariage bourgeois par un contrat amoureux de réciprocité. On ne supporte pas que l’un aime plus que l’autre, alors que la vie réelle est remplie de relations asymétriques. Du coup, on vit avec ce constant rappel à l’ordre : « S’il ne t’aime pas autant que toi ou s’il te trompe avec une autre, tu dois absolument le quitter ! » Je pense au contraire qu’il pourrait y avoir de la grandeur à aimer celui qui ne nous aime pas autant que nous l’aimons. Souvenons-nous du Croc-Blanc de Jack London : l’amour unilatéral que le chien a pour son maître est un amour inconditionnel et asymétrique. C’est une source de grand bonheur, de stabilité, de dépassement de soi. Pourquoi ne pourrait-on envisager de bâtir les liens affectifs sur cette base ? Pour ramasser mon point de vue, je dirais donc que, oui, nous avons évidemment besoin d’être aimés, nous Modernes qui sommes en proie à une forme de solitude permanente. Mais il ne faudrait pas écraser ce besoin en le conditionnant à une exigence impossible d’exclusivité et de réciprocité.

     

     

    N. F. : J’entends bien vos deux positions et, en bon Moderne naïf, je n’ai sur la question qu’un avis intuitif, subjectif, immédiat, égoïste. Je pense que le besoin d’être aimé (ou de plaire) est comme la paresse ou la veulerie : une tare inéquitablement répartie selon la nature de chaque individu. À partir de cette donnée, l’enjeu d’une vie « noble » et accomplie consisterait à s’affranchir de cette tare, sans pour autant atteindre au stoïcisme des Anciens ou se rêver en héros contemporain du renoncement, façon Robinson Crusoé. Les choses sont bien plus prosaïques que cela : suis-je suffisamment capable de me passer d’amour afin de ne pas chercher à soumettre autrui à mes caprices et à mon ambition ? Apprendre à se déprendre d’un besoin écrasant d’amour, c’est d’abord apprendre à aimer pour de bon.

     

    V. D. : Freud établissait une corrélation entre le narcissisme primaire de l’enfant et l’illusion religieuse. Qu’est-ce que la religion monothéiste sinon le besoin infantile d’être aimé ? Elle affirme que je suis un objet d’amour pour un être suprême qui veille sur moi. Cet être suprême est celui qui me confirme définitivement dans l’existence. De ce point de vue, il y aurait une ligne continue entre la faiblesse infantile, qui est une donnée indépassable de l’existence, et la pire superstition qui vous conduit à imaginer un être suprême qui gouverne votre existence… Alors, il ne s’agit pas de se débarrasser de ce besoin. Plutôt de distinguer un bon et un mauvais usage. S’il est destiné à confirmer votre moi infantile, débarrassez-vous-en au plus vite !

     

    N. F. : Et quel serait le bon usage du besoin d’amour ?

     

    V. D. : Lorsque l’amour de l’autre m’incite à me détacher de moi. Dans le Banquet de Platon, Aristophane propose un mythe resté célèbre : avant de nous incarner dans un corps masculin ou féminin, nous étions tous des sortes de boules androgynes (lire le cahier central). Pour nous punir d’avoir voulu monter au ciel, Zeus nous aurait coupés en deux. Depuis, nous essayons de retrouver notre moitié perdue. Le besoin d’être aimés viendrait donc du besoin que nous éprouvons de retrouver notre moitié perdue. Or Platon conteste cette vision fusionnelle de l’amour comme expérience de la complétude. L’amour ne doit pas être pensé sous le régime de l’identité mais, plutôt et paradoxalement, de la différence. L’amour ne nous permet pas de retrouver notre Moi perdu, au contraire sa valeur essentielle tient au fait qu’il corrode le Moi, qu’il le mine.

     

    M. I. : Peut-être. Mais il se trouve que, pour nous, cette expérience s’opère dans le couple, qui est devenu la seule institution au sein de laquelle les individus peuvent développer des liens forts. Dans tous les autres registres de la sociabilité, professionnels, amicaux, de voisinage, nous sommes censés nouer des liens faibles. Du coup, le couple porte seul la charge des liens signifiants. Et il se casse. Parce qu’il est à la fois trop exigeant et trop fragile. Il serait temps de faire des états généraux de la vie privée. Mais la gauche qui devrait porter un tel projet ne veut pas en parler. Parce que c’est elle qui a introduit l’ultralibéralisme dans la vie privée. Tandis que la droite veut revenir à l’ancien modèle familial, ce qui est impossible. Or nous aurions besoin d’inventer de nouvelles institutions de la vie privée qui permettent aux individus de multiplier les liens. C’est une question politique autant que culturelle. Les politiques publiques visent à assurer aux individus le droit de se séparer. Et l’autre est conçu comme un danger à redouter dont l’État doit nous protéger.

     

    V. D. : Vous pensez à quoi comme institution nouvelle ? Au phalanstère de Fourier [un projet utopique d’hôtel coopératif imaginé par Fourier au XIXe siècle, réunissant plusieurs centaines de familles où l’on vit et travaille en commun] ?

     

    M. I. : Je n’ai pas de solution, mais je suis convaincue qu’une société qui considère que l’on s’émancipe en se séparant des autres est mal embarquée. Concentrer ses engagements sur une seule personne à qui l’on demande tout, c’est le meilleur moyen de devenir fou. Au contraire, si l’on avait des liens amoureux, sexuels, amicaux plus nombreux, on serait plus libre.

     

    N. F. : Je reviens au prisme de mon expérience personnelle. Tâcher de ne pas trop me préoccuper de recevoir de l’amour des autres, tâcher de ne pas trop avoir besoin des autres, dompter mon ambition de plaire, c’est pour moi une façon de me protéger de la violence du monde. L’enfer, c’est les autres, non ? Dans mon roman autobiographique J’étais derrière toi, je touche à cette question. C’est l’histoire d’un homme de 30 ans – moi-même – qui se rend compte, suite à une aventure extraconjugale, que la relation qu’il entretient avec sa femme, également mère de ses enfants et avec laquelle il vit depuis dix ans, est un enfer d’interdépendance totale, aussi infantile que destructeur. Quinze ans plus tard, à 46 ans, je ne suis plus le même. J’ai appris à affiner mon besoin maladif d’être aimé afin d’aimer, en retour, le moins mal possible. En acceptant notamment de quitter une femme si je juge que cela évitera l’affadissement de notre relation amoureuse. Quitte à passer pour un égoïste ou un sans-cœur, ce qui est un coup dur porté à l’amour-propre. Ne plus plaire, c’est la rançon de ce renoncement. De combien ai-je besoin d’être aimé désormais ? Où est la limite raisonnable à ce besoin ? Tenir poliment les autres à distance pour me préserver, est-ce mal ? Suis-je devenu un monstre ? Je n’ai pas de réponse à cette question. Mais j’ai le sentiment d’avoir appris à voir plus large en acceptant tout aussi bien que le monde ne tourne pas autour de moi et à me passer (dans une limite raisonnable bien sûr) du monde. À m’apaiser, c’est le mot. Même en tant que père, je me suis posé la question : où se situe la limite entre donner de l’amour à ses enfants pour en recevoir en retour ou leur donner de l’amour tout court sans attendre d’eux qu’ils soient un prolongement de vous-même ? C’est l’essence même de l’expérience parentale


    V. D. : Dans L’Être et le Néant, Sartre se demande « pourquoi l’amant veut être aimé ». Et il répond : « Il veut être aimé par une liberté et réclame que cette liberté comme liberté ne soit plus libre. Il veut à la fois que la liberté de l’Autre se détermine elle-même à devenir amour et que cette liberté soit captivée par elle-même, qu’elle se retourne sur elle-même pour vouloir sa captivité.» C’est une très belle réponse qui touche à quelque chose de fondamental : ce que je veux dans l’amour, c’est la liberté de l’autre, mais une liberté qui renonce à elle-même. Mais c’est encore insuffisant. Parce que Sartre fait tout partir de l’ego. Alors qu’à mon sens, notre besoin d’amour, s’il prend initialement la forme d’une confirmation infantile de l’ego, doit peu à peu faire éclater ce modèle.

     

    N. F. : Je me demande souvent ce qu’on aime dans l’amour. L’autre ou le contexte « sensible » de la rencontre de l’autre ?

     

    V. D. : C’était déjà la grande question de Pascal, qui disait à peu près : « Il l’aimait il y a dix ans, elle était belle ; elle contracta la vérole, il ne l’aima plus. Et pourtant, c’était la même personne. » Et Pascal d’affirmer : « On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. » Qu’est-ce que l’objet d’amour ? Une belle gueule, un bon jugement. Mais cela va changer. Sur quoi porte l’amour de celui qui m’aime ? Qu’est-ce que ce moi fantomatique qu’il est censé aimer ? Pour moi, l’amour n’a de sens que s’il se vit sous le régime d’une inquiétude permanente. Je suis hanté, inquiété par l’autre dans tout ce qui tend à me fixer dans une identité donnée.

     

    N. F. : Dans L’Amant, Marguerite Duras a une formule qui m’a frappé et qui permet de toucher à une question que l’on n’a pas encore abordée, celle de la différence entre hommes et femmes dans leur pratique d’aimer. Elle dit à propos des hommes : « Je n’ai jamais aimé, croyant aimer. Je n’ai jamais rien fait qu’attendre devant la porte fermée. » Cette porte fermée qu’est l’amour pour elle, je crois que beaucoup de femmes l’éprouvent. Je pense que les femmes ont une longueur d’avance en amour, dans leur capacité à donner et dans leur capacité d’abnégation. Et qu’elles sont nombreuses à attendre seules devant une porte, au mieux, entrouverte.

     

    M. I. : C’est parce que c’est leur « métier », en un sens. On leur a donné pour fonction de faire et d’élever les enfants, et cela ne change pas en dépit des progrès de l’égalité. Du coup, elles sont les épicières de l’amour. Je ne dis pas cela avec mépris. Aujourd’hui, elles sont plus diplômées que les hommes, mais leur inscription dans vie professionnelle reste moins importante, parce qu’elles ont cette charge sociale. Et lorsqu’elles choisissent un homme, elles ont souvent en tête un projet de maternage. Elles sont obligées de calculer. Du coup, elles peuvent moins se livrer que les hommes. Contrairement à vous, je pense que les hommes peuvent aimer plus librement parce qu’ils ne sont pas comme les femmes les garants du contrat amoureux, de l’ordre du couple.

     

    V. D. : Contrairement au mythe des amants qui fusionnent l’un avec l’autre, je crois qu’il y a une négativité dans l’amour qui est la condition d’apparition du désir. L’autre résiste, et d’abord dans son corps. Alors que le viol est la négation de cette résistance, l’amour vrai consiste à l’éprouver. On fantasme un état de repos fusionnel où l’Autre me comprendrait absolument. Or c’est non seulement un état impossible à atteindre, mais pas désirable.

     

    M. I. : Cela va vous étonner, mais c’est l’une des choses que j’ai comprise grâce à ma relation avec mon chien. Alors que les animaux appartiennent à une autre espèce, à une autre condition, un échange est possible avec eux. C’est donc que, malgré l’abîme qui existe entre les êtres, ils peuvent éprouver quelque chose en commun.

     

    « L’amour est un archipel d’indiscutables instants de grâce dans un océan d’illusions consenties »

    Nicolas Fargues

    N. F. : Un amour qui serait fondé sur le respect d’une distance infranchissable me semble tout aussi désespérant qu’erroné. Car le partage et la plénitude, en amour, cela existe, même fugacement. Surtout lorsqu’on a pris le parti de ne pas attendre de l’autre un amour inconditionnel. La meilleure façon d’être aimé pour de bon, c’est de ne pas chercher à l’être à tout prix. Je suis convaincu qu’il y a des moments où les mots sont entendus de la même façon, où les émotions sont partagées. Je pense que l’idéal fusionnel est mortifère, certes. Mais l’amour n’est pas seulement fait de projections et de malentendus, ça non ! Il peut être aussi une expérience récompensée de l’altérité. J’aime l’autre (ou je m’efforce d’aimer l’autre) pour ce qu’elle est, et pas seulement parce qu’elle vient répondre au besoin, à l’idée que je me suis faite d’elle et de l’amour. Je la rejoins là où elle est, je discerne sa singularité et je le lui manifeste. Et elle m’est reconnaissante de cette générosité, elle m’aime à son tour généreusement pour cela. Renoncer à son besoin d’être aimé, c’est, en un sens, éduquer l’autre à l’amour. C’est un peu pervers, je le reconnais, mais c’est efficace. L’amour est un archipel d’indiscutables instants de grâce dans un océan d’illusions consenties.

     

    V. D. : Je n’arrive pas à me représenter ces moments de plénitude autrement que sous une forme cauchemardesque. Cela me fait penser à une conversation où l’autre serait toujours d’accord avec moi. Comme dans le langage adamique où Adam n’a même pas besoin de parler à Ève pour se faire comprendre. Il suffit qu’il pense pour qu’elle pense pareil. Mais rien ne se passe.

     

    N. F. : Il y a tout de même des rencontres entre les êtres…

     

    V. D. : Bien entendu. Et le but n’est pas de se dire qu’il faut absolument se disputer. Mais la négativité est la colonne vertébrale de l’amour. Cette négativité qui me vise lorsque je suis aimé me libère. Je suis transfiguré par le travail négatif de l’amour, libéré de moi-même.

     

    N. F. et M. I. : Là, nous sommes d’accord. 

    Propos recueillis par Martin Legros

    Rédacteur en chef


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