• Le Monde des religions: s'effacer du Monde (août 2018), une solitude choisie (solitude et silence). (Thème: Seuls avec tous)

    Les bienfaits de la solitude choisie

     

    Présentation du dossier:

     

    DOSSIER

    S'effacer du monde

     

    Retraites dans le désert ou en Amazonie, méditation, séjours monastiques... Ces expériences attirent un public grandissant qui cherche à rompre, pour un temps, avec le rythme effréné du quotidien. Renouer avec l'essentiel, retrouver le goût de l'authentique, se plonger dans ce silence qui fait défaut à nos sociétés... Que cherche-t-on dans la solitude ? Et comment cette expérience nous transforme-t-elle ? Un dossier indispensable pour aborder sereinement la rentrée.

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    SOLITUDE ET SILENCE

    Sortir de soi

    André Comte-Sponville, philosophe, est l'auteur de L'inconsolable et autres impromptus (PUF, 2018).

     

    Les mots « solitude » et « silence » m'ont toujours paru aller droit vers l'essentiel. Mais « intériorité », non. Ce dernier vocable me fait plutôt penser à ce que Sartre appelait « la moite intimité gastrique », celle de la « vie intérieure », qu'il opposait à ce que Husserl nommait « l'intentionalité », autrement dit le fait que toute conscience est « conscience d'autre chose que soi ». Et d'expliquer : « La conscience n'a pas de "dedans" ; elle n'est rien que le dehors d'elle-même. [...] Que la conscience essaye de se reprendre, de coïncider enfin avec elle-même, tout au chaud, volets clos, elle s'anéantit. [...] Tout est dehors, tout, jusqu'à nous-mêmes : dehors, dans le monde, parmi les autres. » Et c'est ce que la méditation, chaque jour, me confirme. 

    « Que reste-t-il alors, demandera-t-on, de la solitude ? » Il en reste l'essentiel : la singularité banale d'être soi, de vivre cette vie-là, que personne ne saurait vivre à votre place, ni comme vous, ni même tout à fait avec vous. C'est pourquoi j'ai pris l'habitude de distinguer la solitude, qui est une dimension de la condition humaine, de ce que j'appelle l'isolement, qui est un accident ou un échec de la vie sociale ou affective. Que chacun soit seul à être soi, qu'il y ait en lui quelque chose d'impénétrable, d'incommunicable, nous le savons tous. Loin que cela interdise toute relation avec autrui, c'est la condition d'une relation authentique : seul celui qui accepte sa propre solitude, montre le psychanalyste Winnicott, est capable de rencontrer la solitude de l'autre. Encore faut-il que cette rencontre soit possible et vraie, qu'elle ne se limite pas à quelques formules de politesse ou à quelques commentaires routiniers sur le temps qu'il fait - encore faut-il qu'on ne soit pas isolé ! Moines et moniales, dans leurs monastères, le savent bien. La vie en communauté, qui est le contraire de l'isolement, ne supprime pas la solitude : elle permet de l'habiter d'autant plus profondément qu'on sait n'être pas isolé. 

    Je dirais volontiers la même chose du silence : qu'il en existe deux sortes différentes. Le silence peut être une prison, comme l'isolement qui l'accompagne si souvent : quand toute parole semble impossible ou vaine, quand on n'a personne à qui parler, personne qui vous écoute ou vous comprenne. Silence subi, qui est une souffrance presque toujours : c'est l'échec ou l'impossibilité de la parole. 

    Mais il est un autre silence, non plus subi mais choisi : parce qu'on a compris que l'essentiel n'est pas dans le discours mais dans l'esprit ou le coeur, non dans les mots mais dans la contemplation ou l'action. Ce silence-là n'est pas l'échec de la parole mais le refus du bavardage, non une prison mais une ouverture : silence de l'écoute ou de l'attention, de l'amour ou du travail, de la prière ou de la méditation. Les moines, là encore, dans toutes les religions, même sans Dieu, nous en donnent l'exemple, comme beaucoup d'entre nous, même sans religion, en redécouvrent le besoin. Il ne s'agit pas - en tout cas pour les laïcs - de se taire toujours, mais de laisser au silence sa place, qui est celle de la sensation muette, de l'attention pure ou de la vérité sans phrase. 

    Je comprends mieux pourquoi les ermites m'ont toujours paru outranciers. Ils ne se contentent pas de la solitude commune, ni de moments, fussent-ils longs, de silence : ils veulent l'isolement et le mutisme. Le Bouddha, qui en fit l'essai, y renonça vite. Et pourquoi la « vie intérieure », si vantée, me laisse elle aussi réticent. Ne confondons pas la vie spirituelle et « la moite intimité gastrique », ni la prière ou la méditation avec l'introspection ! Nous avons mieux à faire que nous contempler perpétuellement le nombril ou l'âme ! « Entrer en soi-même », comme on dit, et certes il le faut parfois, n'a de sens que pour en sortir - pour s'ouvrir au monde ou à Dieu, aux autres et à tout. On y parviendra d'autant mieux qu'on acceptera de se taire parfois, et d'être seul - quoique non isolé - toujours. 

     

     


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