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L.L.N°5: Hélène Dorion, "On dirait une silhouette mystérieuse"

14 Janvier 2025 , Rédigé par Christelle Bouley

Parcours associé : la nature, l’intime, la poésie.

Thème : poésie et forêt, dans la section « onde du chaos »

 

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On dirait une silhouette mystérieuse

où glissent des rivières

et s’élancent les rêves

 

puis le jour recommence

l’arbre jette l’ancre

dans le jardin de tes pas

 

il tend les cordes de l’univers

où les âmes jamais ne fanent

 

aux confins du silence

le ciel brûle

- arbre de grâce et de beauté

arbre de solitude et de questions -

les branches qu’il recueille

s’inclinent comme des archets

 

tu écoutes le chant des racines

tu deviens la sève

un filet de clarté

qui traverse le tronc

 

c’est le temps     dis-tu

cette fenêtre opaque

qui raconte le voyage

 

un poème avance sur la tige

vole parfois

sur les traces de l’oiseau

 

l’arbre n’a d’âge

que celui des saisons

 

 

Hélène Dorion, Mes forêts, éditions Bruno Doucey, pp. 87-88, 2021.

 

Grammaire

1-Nature et fonction d’  « une silhouette mystérieuse » (v.1).

2-Nature et fonction d’ « où glissent des rivières » (v.2) .

3-Nature et fonction de « dans le jardin de tes pas » (v.6) ?

4 -Nature et fonction de « qu’il recueille» (v.13).

5-Comment se nomme la proposition « tu écoutes le chant des racines » (v.15) ?

6-Analysez la négation dans les deux vers : « l’arbre n’a d’âge/que celui des saisons » (v.25-26).

 

Correction de la grammaire

1-Nature et fonction d’  « une silhouette mystérieuse » (v.1).

 

Nature : G.N (= groupe nominal) comprenant un article indéfini « un », un nom « silhouette » et un adjectif « mystérieuse ».

Fonction : On dirait quoi ? Une silhouette mystérieuse.

 

C’est donc un COD du verbe « dire ».

 

2-Nature et fonction d’ « où glissent des rivières » (v.2) .

Nature : proposition subordonnée relative adjective (elle est l’équivalente d’un adjectif qualificatif épithète)

Fonction : Ct de l’antécédent « une silhouette mystérieuse »/ Epithète liée de « une silhouette mystérieuse ».

 

Nature d’où : pronom relatif

Fonction d’où : Ct circonstancielle du verbe « dire ».

 

 

3-Nature et fonction de « dans le jardin de tes pas » (v.6) ?

Nature : Groupe nominal prépositionnel (on parle de G.N prépositionnel, quand le groupe nominal est précédé d’une préposition).

 

Liste des prépositions : à, dans, par, pour, en, vers, avec, sans, entre, derrière, chez, de, contre. Les prépositions servent à introduire une direction ou une position.

(pour retenir  la liste: Adam part pour Anvers avec cent sous, entre derrière chez Decontre )

 

Fonction : Ct circonstanciel de lieu. Répond à la question : Où l’arbre jette-il l’ancre ? Dans le jardin de tes pas.

 

4 -Nature et fonction de « qu’il recueille» (v.13).

Nature : proposition subordonnée relative adjective (peut être remplacée par un adjectif : les branches recueillies).

Fonction : Ct de l’antécédent « les branches »/ Epithète liée de « les branches ».

 

5-Comment se nomme la proposition « tu écoutes le chant des racines » (v.15) ?

 

C’est une proposition indépendante comprenant un sujet « tu », un verbe conjugué au présent de l’indicatif « écoutes » et un COD. C’est une phrase simple qui suit le schéma suivant : S/V/C.

 

6-Analysez la négation dans les deux vers : « l’arbre n’a d’âge/que celui des saisons » (v.25-26).

 

ne...que : négation restrictive. C’est une fausse négation qui met en avant l’âge des saisons.

Transformation à la forme affirmative : L’arbre a l’âge seulement des saisons.

 

Correction de la lecture linéaire

N.B :

Plusieurs façons de nommer la personne qui écrit  (pour varier son vocabulaire) : auteure, autrice, écrivaine, la poétesse, la créatrice du recueil.

 

Introduction :

A)Contexte historique et littéraire : La poésie est un genre privilégié de l’intime. Le titre « Mes forêts » renvoie aux forêts intérieures de l’autrice. En grec, « poiesis », signifie « créer ». La poétesse va inventer un poème qui parle de son rapport aux arbres et de ce qu’ils réveillent de questionnements en elle. Ainsi,  Hélène Dorion, poétesse moderne, née en 1958,  écrit cet ouvrage en 2021. Elle tente, à travers son écriture, de capter notre attention sur des sujets modernes et intemporels tels que le rapport de soi au monde et les problèmes écologiques ainsi que comment y faire face. Ce poème est moderne, car il offre des libertés syntaxiques et typographiques peu utilisées jusqu’à maintenant et qui servent le sens. Il ne comprend plus de rimes, mais les assonances et allitérations rendent la création musicale.

B)Présentation du texte : Hélène Dorion se livre à la description intime d’un arbre. C’est sa description personnelle qui est faite ici, en lien avec ce qu’elle ressent. L’arbre l’habite et travaille en elle. Elle fait corps avec cet arbre dont elle raconte l’histoire.

C)Mouvements :

1er mouvement : L’histoire de l’arbre : entre rêve et réalité (v.1 à 12)

2ème mouvement : L’arbre, la musique et la poésie (v.13 à 26).

D)Problématique : En quoi l’histoire de l’arbre sert-elle la création poétique ?

 

 

Développement :

 

1er mouvement : L’histoire de l’arbre : entre rêve et réalité (v.1 à 12)/ un tableau poétique

  L’utilisation du présent du conditionnel « on dirait » nous place dans un temps où l’action est soumise à condition, dans le domaine de l’éventuel, dans un temps rêvé confirmé par le G.N « les rêves » (V.3). L’utilisation du pronom indéfini « on » laisse transparaitre un certain flou : qui parle ?  Ce flou est renforcé par l’utilisation du G.N « silhouette mystérieuse ». Les contours ne sont pas précis, nous savons simplement que dans ce lieu, des rivières coulent et des rêves surgissent. Ainsi, le monde humain et le monde naturel se mêlent. En effet, on parle rarement des rêves des arbres. Il s’agit plutôt des rêves de celui qui regarde la forêt ou qui l’imagine. On a l’impression que la scène ressemble à un tableau poétique impressionniste, en raison du flou qui l’entoure. De plus, l’adjectif « mystérieux » est emprunt au latin « mysterium » qui renvoie aux « mystères, cérémonies secrètes en l’honneur d’une divinité et accessibles seulement à des initiés », c’est aussi une « chose tenue secrète ». Les forêts auraient-elles un lien avec le sacré ? A ce propos, dans le poème « les forêts sont des bêtes qui attendent la nuit » (p.51), l’auteure parle de « boire l’offrande », faisant un lien  avec le divin. Ce qui est sacré est ce qui est digne d’un respect absolu, d’une fascination, comme peut l’être un arbre dont l’histoire est ici contée.

  Aucun signe de ponctuation n’existe entre le premier tercet et le second. Seul le connecteur logique « puis » qui est aussi un adverbe de temps marque la transition entre les strophes. Le présent de narration met en avant l’histoire de l’arbre, avec la succession des jours : « puis le jour recommence ». La métaphore marine de l’ancrage comprend également une personnification : « l’arbre jette l’ancre/dans le jardin de tes pas ». L’arbre prend des attributs humains, puisqu’il « jette l’ancre ». Cela peut faire songer à ses racines qui s’installent profondément dans le sol, comme une ancre. L’arbre est cependant vu comme un voyageur (celui qui a navigué, puisqu’il possède une ancre) et associé à l’idée de mouvement. Il est ussi celui qui s’installe dans notre jardin, celui de « tes pas ». Le déterminant possessif « tes » renvoie à l’idée d’altérité. Le « je » de la poétesse n’est pas visible dans le poème, il est effacé au profit du seul « tu » qui subsiste. Le monde végétal, symbolisé par l’arbre, et le monde humain, présent dans le déterminant « tes » se rejoignent. Il s’agit de raconter l’histoire de leur rencontre.

  L’arbre est un véritable magicien-poète qui « tend les cordes de l’univers ». Les cordes peuvent faire songer aux instruments à cordes tels que les violons. Et il nous mène vers l’immortalité : « où les âmes jamais ne fanent » (v.8). La métaphore des âmes qui ne fanent pas nous fait songer au fait que l’arbre, contrairement aux fleurs, peut vivre des siècles. Il porte en lui un temps très long. [L’arbre identifié le plus vieux du monde aurait 5000 ans. Ce cyprès se trouve au Chili. Et il est toujours vivant. Il aurait 50 siècles.] L’arbre du recueil est, quant à lui, relié au grand Tout, à « l’univers ».

  [Aux confins de (définition) : partie d’un territoire situé à son extrême limite.]
 Que signifie « les confins du silence » ? La poésie se prête à l’interprétation personnelle. L’arbre est silencieux, car il ne parle pas, même si ses feuilles peuvent bruisser sous l’effet du vent. Il touche le ciel ou du moins s’élance vers lui, grâce à ses ramures (=ensemble des branches et des rameaux d’un arbre). Pourquoi « le ciel brûle » ? Est-ce les étoiles qui brûlent ? On peut l’imaginer.

[Les deux tirets : ils permettent de mettre en évidence un élément encadré par les deux tirets dans la phrase. Proche de la parenthèse.]  Deux G.N sont ensuite mis en valeur grâce aux tirets qui les encadrent : «-  arbre de grâce et de beauté/ arbre de solitude et de questions - »(v.11-12). On note ici un rythme binaire avec un parallélisme de construction. La grâce renvoie à l’agrément de cet être naturel, à son charme intemporel, renforcé par le nom « beauté ». L’autrice insiste donc sur l’esthétique de l’arbre, sur ses attraits. Notons l’anaphore sur le nom « arbre » qui le met en valeur en plus des tirets. La métaphore « arbre de solitude et de questions » vient associer l’être vivant à l’intime. Au niveau philosophique,l’amour de soi, selon Rousseau au XVIII ème siècle (dans Emile et de l’éducation) , repose sur la solitude. Pour s’aimer soi, il faut être loin du regard des autres, loin du paraître et donc de l’amour-propre. C’est ainsi qu’on peut se relier à une certaine forme d’authenticité, en étant un bon compagnon pour soi-même. Or, cet arbre de solitude peut nous faire songer à cette idée d’amour de soi, de solitude, sans compter qu’il se questionne. Or, le questionnement sur soi et sur le monde est une des bases de la philosophie. Rappelons qu’Hélène Dorion a obtenu un baccalauréat de philosophie au Canada et que c’est un domaine qu’elle connaît. Elle sera membre de la revue philosophique de la Faculté.

 

2ème mouvement : L’arbre, la musique et la poésie (v.13 à 26).

  Les branches que le ciel recueille s’inclinent comme des archets. La métaphore de la musique est alors filée. Elle était déjà présente avec l’idée des cordes de l’univers (v.7). L’archet (v. 14) est ce qui fait vibrer l’instrument. Il commande la durée et l’intensité du son. L’arbre devient donc comme un instrument de musique que la poétesse fait vibrer grâce à sa connaissance de la poésie et de la magie des mots.

  Ce n’est pas le « je » lyrique qui est mis en avant, mais le « tu ». Autrui est convoqué : le lecteur ? Ou celui qui entend le poème ? L’arbre devient musique et chante au niveau de ses racines. L’arbre est alors un instrument poétique : « tu écoutes le chant des racines » (v.15). Il y a fusion du lecteur avec l’élément naturel : « tu deviens sève ». L’être humain et la nature ne font plus qu’un. Le filet de clarté qui traverse le tronc rappelle son caractère sacré, le fait qu’il soit mis en lumière également, comme s’il était au centre de la scène. La lumière est comme un projecteur dont il est l’acteur principal.

   Il n’y a plus de virgule, mais un espace blanc pour marquer la pause : « c’est le temps   dis-tu » Le « tu » peut faire penser ici au narrateur, à celui qui raconte l’histoire de l’arbre. C’est le temps qui raconte le voyage. Sa fenêtre est opaque, car on a du mal à voir à travers. Il est difficile de savoir ce qu’il s’est passé précisément durant toutes ces années où l’arbre a grandi.

  Enfin, poésie et nature ne font plus qu’un : « un poème avance sur la tige » (v.22). La personnification du poème qui chemine tel un être humain, en se baladant sur la tige du l’arbre, rend la poésie plus proche de nous, de notre univers intime. Le poème devient nature et vole comme les oiseaux.

  Le poème se clôt sur l’idée que ce sont les saisons qui le font vieillir, même si nous ne sommes pas  capables de saisir les années précisément. Il se transforme au gré de celles-ci, perdant ou gagnant des feuilles, recouvert de givre ou de lumière, de bourgeons ou d’oiseaux.

 

Conclusion :

A)Bilan/Réponse à la problématique : Nous pouvons lire ici le poème de l’arbre. Il est à la fois le sujet et l’objet de la création poétique. Il est décrit mais aussi acteur, puisque ses branches comme des archets font vibrer l’univers. Le chant de ses racines se fait entendre. Il se fond dans la nature et ses branches s’élancent vers le ciel. Il est celui qui nous questionne. Il est l’inspirateur (=personne qui inspire) de la poésie.

B)Ouverture : L’intime coïncide avec l’universel ici. Comme le disait V.Hugo, dans sa préface d’ Odes et ballades (1828), : « La poésie, c’est tout ce qu’il y a d’intime dans tout. » L’intimité est le caractère profond et secret de notre être, il renvoie à cette « silhouette mystérieuse » présente dans l’ouverture de la composition. La poésie donne de l’importance à l’intimement vécu et à la nature environnante avec laquelle l’être humain entre en résonance émotionnellement.

 

…..

 

Prolongement :

Extrait d’ Emile et de l’éducation, Rousseau (partie IV) :

« L’amour de soi, qui ne regarde qu’à nous, est content quand nos vrais besoins sont satisfaits ; mais l’amour-propre, qui se compare, n’est jamais content et ne saurait l’être, parce que ce sentiment, en nous préférant aux autres, exige aussi que les autres nous préfèrent à eux, ce qui est impossible. Voilà comment les passions douces et affectueuses naissent de l’amour de soi, et comment les passions haineuses et irascibles naissent de l’amour-propre. Ainsi, ce qui rend l’homme essentiellement bon est d’avoir peu de besoins et de peu se comparer aux autres ; ce qui le rend essentiellement méchant est d’avoir beaucoup de besoins et de tenir beaucoup à l’opinion. Sur ce principe, il est aisé de voir comment on peut diriger au bien ou au mal toutes les passions des enfants et des hommes. Il est vrai que ne pouvant vivre toujours seuls, ils vivront difficilement toujours bons : cette difficulté même augmentera nécessairement avec leurs relations, et c’est en ceci surtout que les dangers de la société nous rendent les soins plus indispensables pour prévenir dans le coeur humain la dépravation qui naît de ses nouveaux besoins. »

 

 

Préface d’Odes et ballades, de V.Hugo (1822, poète romantique) :

« Au reste, le domaine de la poésie est illimité. Sous le monde réel, il existe un monde idéal, qui se montre resplendissant à l’œil de ceux que des méditations graves ont accoutumés à voir dans les choses plus que les choses. Les beaux ouvrages de poésie en tout genre, soit en vers, soit en prose, qui ont honoré notre siècle, ont révélé cette vérité, à peine soupçonnée auparavant, que la poésie n’est pas dans la forme des idées, mais dans les idées elles-mêmes. La poésie, c’est tout ce qu’il y a d’intime dans tout. » Les émotions d’une âme ont une importance.

 
 

 

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