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L.L.N°6: Le pin des Landes, Théophile Gautier

14 Janvier 2025 , Rédigé par Christelle Bouley

Parcours associé : la nature, l’intime, la poésie.

 

 

Dans Le pin des Landes, poème romantique tiré du recueil EspañaThéophile Gautier (1811 - 1872) tente de définir la condition du poète

 

  Le pin des landes

 

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On ne voit en passant par les Landes désertes,

Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,

Surgir de l’herbe sèche et des flaques d’eaux vertes

D’autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc

 

Car, pour lui dérober ses larmes de résine,

L’homme, avare bourreau de la création,

Qui ne vit qu’au dépens de ceux qu’il assassine,

Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon !

 

Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,

Le pin verse son baume et sa sève qui bout,

Et se tient toujours droit sur le bord de la route,

Comme un soldat blessé qui veut mourir debout.

 

Le poète est ainsi dans les Landes du monde ;

Lorsqu’il est sans blessure, il garde son trésor.

Il faut qu’il ait au coeur une entaille profonde

Pour épancher ses vers, divines larmes d’or !

 

Théophile Gautier, España, 1845.

 

Questions de versification :

1-Quel est le mètre utilisé ?

Il s’agit de l’alexandrin, vers composé de 12 syllabes.

 

2-De combien de strophes le poème est-il constitué et comment les nomme-t-on ?

Le poème est constitué de 4 strophes de 4 vers, appelées des quatrains.

 

3-Y a-t-il une alternance de rimes féminines et masculines dans chaque strophe ?

[Rappel : une rime féminine se termine par un « e » muet, alors qu’une rime masculine se termine par  n’importe quel autre son. Cette coutume a commencé à se répandre sous les poètes de la Pléiade, au XVI ème siècle. Les rimes féminines sont des syllabes non accentuées, si bien que « tu portes », bien que se terminant par un « s », marque de la 2ème personne du sg, est bien une rime féminine. Un « e » muet peut être suivi d’une consonne muette (-s, -x,-ent.]

 

Oui, l’alternance est effective dans chaque quatrain.

 

 

4-Quelle est la disposition des rimes ?

Les rimes sont croisées (ABAB).

 

5-Quelle est la qualité des rimes (pauvres, suffisantes ou riches) ?

Rimes pauvres : un seul son en commun

Rimes suffisantes : deux sons en commun

Rimes riches : 3 sons en commun ou plus.

1er quatrain :

Désertes/ vertes : 3 sons communs (rimes riches)è, r, t.

Blanc/flanc : deux sons communs (rimes suffisantes) l, [an]

 

Grammaire :

1-Analysez la négation dans « on ne voit (…) que le pin avec sa plaie au flanc (v. 1 et 4) et dans « qui ne vit qu’au dépens de ceux qu’il assassine » (v. 7). Transformez les deux morceaux de phrases en phrase affirmative.

 

ne...que (v.1 à 4): négation restrictive .

Transformation : On voit seulement le pin avec sa plaie au flanc.

 

Qui ne vit qu’au dépens de ceux qu’il assassine (v.7) : ne ...que, négation restrictive.

Transformation : qui vit seulement au dépens de ceux qu’il assassine.

 

2-Analyser nature et fonction dans le segment de phrase « qui ne vit » (v.7), « qui coule goutte à goutte » (v. 9). Transformez les propositions subordonnées en propositions indépendantes et donnez successivement la nature et la fonction de « qui ».

qui ne vit :

Nature : proposition subordonnée relative adjective (on peut remplacer par : vivant)

Fonction : Ct de l’antécédent « l’homme, avare bourreau de la création »/ Epithète liée de « l’homme, avare bourreau de la création ».

qui coule goutte à goutte :

Nature : proposition subordonnée relative adjective (on peut remplacer par : coulant)

Fonction : Ct de l’antécédent « son sang »/ Epithète liée de « son sang ».

3-Analysez la nature et la fonction du segment de phrase « lorsqu’il est sans blessure » (v.14). Remplacez « lorsque » par un mot de même nature grammaticale.

Lorsqu’il est sans blessure : on peut remplacer par « quand ».

Nature : Proposition subordonnée circonstancielle de temps

Fonction : Ct circonstanciel de temps du verbe de la proposition principale « garder ».

 

Analyse linéaire

 

Introduction

A)Contexte historique et littéraire : Ami de Nerval, maitre de Baudelaire, T.Gautier (1811-1872)a joué un rôle littéraire essentiel au XIXème siècle (cf : gallica BNF). Disciple passionné du romantisme dont il sera plus tard l’historien, figure de proue de l’art pour l’art, il est considéré comme un maitre par les Parnassiens (défenseur de l’art pour l’art, 2ème moitié du XIXème siècle, perfection formelle, lyrisme impersonnel, importance de la beauté).

B)Présentation du texte : Dans cette composition, le poète est associé au pin des Landes qui donne le meilleur de lui-même en littérature, lorsqu’il est blessé. En effet, l’inspiration lui vient de ses souffrances, thème éminemment romantique. La souffrance devient pour le poète romantique la source de salut (= dépassement de la souffrance, félicité éternelle dans la religion) et d’inspiration.

C)Mouvements (4 strophes/ 4 mouvements)

1er mouvement : le lieu où vit le pin blessé (v. 1 à 4)

2ème mouvement : l’homme cruel entaille l’écorce du pin (v. 5 à 8)

3ème mouvement : Le pin déverse alors son baume à travers sa sève (v. 9 à 12)

4ème mouvement : Comparaison entre le pin et le poète (v.13 à 16).

 

D)Problématique : Comment, ce poème d’inspiration romantique, met-il en valeur le lien qui existe entre le pin et le poète ?

 

LECTURE

 

Développement

 

1er mouvement : le lieu où vit le pin blessé (v. 1 à 4)

  Le pin  est le protagoniste du poème et renvoie directement au titre. Il évolue dans un milieu particulier que sont les Landes (syn. Garrigue, maquis. On y trouve de l’ajonc, du genêt...).  Il s’agit d’une terre inculte, résultant généralement de la dégradation de la forêt où poussent des plantes sauvages. Les Landes peuvent être arides, c’est du moins ce que sous-entend le poète par le G.N en apposition « Vrai Sahara français ». On comprend que le pin dont il est question pousse en France dans un endroit sec. Cette idée est renforcée par l’adjectif « désertes » (v. 1) qui signifie qu’il y a peu de végétation, mais aussi peu d’hommes. On observe un champ lexical de la sécheresse avec « désertes », « Sahara », « sable blanc », « herbe sèche » malgré la présence de flaques d’eau vertes. Il semblerait que dans ce tableau dressé dans la première strophe, le pin est l’arbre qui se remarque le plus, car il est plus grand que la végétation basse des Landes et qu’il est seul : la négation restrictive met l’accent sur le fait qu’on voit seulement le pin : « On ne voit que le pin avec sa plaie au flanc » (v.4). Ce pin a cependant une particularité mise en valeur par le complément circonstanciel « avec sa plaie au flanc » qui initie la personnification de l’arbre blessé.

2ème mouvement : l’homme cruel entaille l’écorce du pin (v. 5 à 8)

 Le second quatrain s’ouvre sur l’explication des raisons de cette plaie, introduite par la conjonction de coordination « car ». La cause des blessures de l’arbre provient de l’homme qui a entaillé son écorce pour lui prendre sa résine. Les résiniers sont des hommes qui, en cassant l’écorce du pin, en récupère le précieux nectar d’où le surnom d’ « arbre d’or », renvoyant au pin. Les premières utilisations de la résine servirent à fabriquer des torches et des bougies. Le complément circonstanciel de but « pour lui dérober ses larmes de résine » (v.5)  donne des informations sur les objectifs de ces hommes . Le GN en apposition à l’homme « avare bourreau de la création » apporte une connotation péjorative à la description de l’être humain. Le bourreau est celui qui martyrise l’autre, le fait souffrir. L’homme est avare, car il le fait pour l’argent. Il dépend du pin pour gagner sa vie. L’hyperbole sur le verbe assassiner insiste sur le caractère meurtrier des actes commis par l’humain. La métaphore « tronc douloureux » met en avant les souffrances de l’arbre. L’indignation du poète face à la torture faite aux arbres est lisible dans l’emploi du point d’exclamation qui met en valeur une émotion vive à la fin de la strophe.

 

3ème mouvement : Le pin déverse alors son baume à travers sa sève (v. 9 à 12)

  Mais le pin ne se plaint pas de sa condition. La résine devient alors son « sang », symbole de sa force vitale. Il ne regrette pas cette perte. Il est généreux, car il offre ses bienfaits. Une antithèse existe entre l’homme, bourreau, et l’arbre, vertueux, aux effets bienfaisants. La métaphore qui associe la sève et le baume le souligne : « le pin verse son baume et sa sève qui bout » (v.10). Il garde sa fierté, car il est toujours droit. Il est comparé à un « soldat blessé qui veut mourir debout ».

 

4ème mouvement : Comparaison entre le pin et le poète (v.13 à 16).

Le pin est en réalité comparable au poète comme on le découvre dans le dernier quatrain. On note une forme circulaire puisque la mention du lieu présente dans le premier quatrain, «les Landes désertes » (v.1) est reprise dans le dernier et devient « dans les Landes du monde » (v.13).  Ce complément circonstanciel de lieu donne un caractère universel au rôle du poète qui vit dans un endroit aride - les Landes - où il n’est pas facilement compris et accepté, à l’image de l’albatros de Baudelaire. Le poète-arbre  (1845) peut être comparé au poète-oiseau (1859) (cf : Lire « L’Albatros » de Baudelaire.), lui aussi composé de 4 quatrains en rimes croisées.

 Par ailleurs, la rime suffisante (2 sons communs) qui fait résonner « monde » (v.13) et « profonde »(v.15) met en valeur la profondeur du monde exploré par le poète qui s’intéresse à l’âme humaine et à ses émotions en les esthétisant par le langage.

   La souffrance permet au poète d’exprimer son « trésor » intérieur : « Il faut qu’il ait au coeur une entaille profonde/ Pour épancher ses vers, divines larmes d’or. » La métaphore « les larmes d’or » crée un pont entre le versificateur et le pin qu’on appelle « arbre d’or » dans l’usage commun, en raison de sa précieuse résine. Tout comme le pin subit les assauts à coup de couteau de l’homme, « avare bourreau de la création », le poète est blessé au coeur par le monde environnant et cette souffrance nourrit son art. L’écrivain fait le pont entre le divin et l’humain, car ses larmes sont qualifiée de « divines » (v.16). Elles sont précieuses. Le champ lexical de la richesse intérieure est présent  avec les mots « trésor », « divines », « larmes d’or ». La contribution du poète à la vie humaine est sacrée. Le poète s’identifie au pin avec qui il ne forme plus qu’un, car il est capable de se relier à la nature grâce à sa sensibilité exacerbée.

Epancher : répandre (épancher ses vers peut vouloir dire, les diffuser, les écrire).

 

Conclusion :

A)Bilan (= réponse à la problématique) : Le poète compose le tableau d’une nature singulièrement humaine par le biais de la personnification et des nombreuses métaphores. L’arbre-poète devient le symbole du martyr qui continue de se battre et de créer. Le pin et le poète souffrent, mais ils savent faire de cette souffrance une force créatrice et bienfaisante pour le monde environnant.

B)Ouverture : Dans le mouvement romantique, la souffrance est un précieux moteur d’inspiration. On retrouve ce thème dans un roman resté célèbre de ce courant littéraire : Les Souffrances du jeune Werther de Goethe (1774). Le protagoniste, Werther, subit les affres (=angoisse) d’un amour impossible.

Prolongement :

L’Albatros

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

 

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

 

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

 

Charles Baudelaire

 

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