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L.L.N°8: L'amour passion selon Louise dans MEMOIRES DE DEUX JEUNES MARIEES de Balzac

12 Mars 2025 , Rédigé par Christelle Bouley

Le choix de l’amour-passion par Louise (Lettre 15 de Louise à Renée)

 

  Dans trois lettres, écrites entre mars et avril 1825, Louise relate la cour que Felipe de Henarez, devenu baron de Macumer, lui fait. Il est partout où elle est. Louise en est profondément émue. Louise exerce sur Henarez une domination absolue. Il est son serviteur, son « esclave ».

 

Tu étais comme moi la jeune fille la plus instruite, parce que nous avions beaucoup réfléchi sur peu de choses ; mais, mon enfant, la philosophie sans l'amour, ou sous un faux amour, est la plus horrible des hypocrisies conjugales. Je ne sais pas si, de temps en temps, le plus grand imbécile de la terre n'apercevrait pas le hibou de la sagesse tapi dans ton tas de roses, découverte peu récréative qui peut faire enfuir la passion la mieux allumée. Tu te fais le destin, au lieu d'être son jouet. Nous tournons toutes les deux bien singulièrement : beaucoup de philosophie et peu d'amour, voilà ton régime ; beaucoup d'amour et peu de philosophie, voilà le mien. La Julie de Jean-Jacques, que je croyais un professeur, n’est qu’un étudiant auprès de toi. Vertu de femme ! As-tu toisé la vie ? Hélas ! Je me moque de toi, peut-être as-tu raison. Tu as immolé ta jeunesse en un jour, et tu t'es faite avare avant le temps. Ton Louis sera sans doute heureux. S'il t'aime et je n'en doute pas, il ne s'apercevra jamais que tu te conduis dans l'intérêt de ta famille comme les courtisanes se conduisent dans l'intérêt de leur fortune ; et certes, elles rendent les hommes heureux, à en croire les folles dissipations dont elles sont l'objet. Un mari clairvoyant resterait sans doute passionné pour toi ; mais ne finirait-il point par se dispenser de reconnaissance pour une femme qui fait de la fausseté une sorte de corset moral aussi nécessaire à sa vie que l'autre l'est au corps ? Mais, chère, l'amour est à mes yeux le principe de toutes les vertus rapportées à une image de la divinité ! L'amour, comme tous les principes, ne se calcule pas, il est l'infini de notre âme. N'as-tu pas voulu te justifier à toi-même l'affreuse position d'une fille mariée à un homme qu'elle ne peut qu'estimer ? Le devoir, voilà ta règle et ta mesure, mais agir par nécessité, n'est-ce pas la morale d'une société d’athées ? Agir par amour et par sentiment, n’est-ce pas la loi secrète des femmes ? Tu t'es faite homme, et ton Louis va se trouver la femme ! O chère, ta lettre m'a plongée dans des méditations infinies. J'ai voulu que le couvent ne remplace jamais une mère pour des filles. Je t'en supplie, mon humble ange aux yeux noirs, si pure et si fière, si grave et si élégante, pense à ses premiers cris que ta lettre m’arrache ! Je me lamentais, l'amour renversait sans doute les échafaudages de la raison. Je ferai peut-être pis sans raisonner, sans calculer :  la passion est un élément qui doit avoir une logique aussi cruelle que la tienne.

 

Honoré de Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées, 1842.

 

Grammaire :

1-Analysez le membre de phrase « parce que nous avions beaucoup réfléchi sur peu de choses » (l.1). Donner la nature et la fonction de cette proposition et remplacez « parce que »  par un mot ou groupe de mots de même sens.

2-Analysez la phrase « As-tu toisé la vie ? » (l.9) et transformez-la en proposition subordonnée interrogative indirecte en commençant par « je me demande ».

 

 

Grammaire :

1-Analysez le membre de phrase « parce que nous avions beaucoup réfléchi sur peu de choses » (l.1). Donner la nature et la fonction de cette proposition et remplacez « parce que »  par un mot ou groupe de mots de même sens.

2-Analysez la phrase « As-tu toisé la vie ? » (l.9) et transformez-la en proposition subordonnée interrogative indirecte en commençant par « je me demande ».

 

Introduction

a)Contexte historique et littéraire : Ce roman de Balzac est paru en 1842. Il est intégré au livre « Scènes de la vie privée », première partie de La Comédie humaine et est dédicacé à son amie George Sand. Balzac se situe à cheval entre deux mouvements littéraires que sont le romantisme et le réalisme. Et son œuvre en est bien le reflet. Le sujet amoureux appartient au romantisme. Quant à la réflexion sur le mariage et la façon dont un couple peut fonctionner sur le long terme, on est plutôt dans le domaine du réalisme. Balzac a fait le choix du roman épistolaire (=roman contenant une succession de lettres), tout comme ses prédécesseurs Rousseau, avec La Nouvelle Héloïse  au XVIII ème siècle et Choderlos de Laclos, avec ses Liaisons dangereuses au siècle des Lumières. Le roman par lettres permet d’entrer dans l’intimité des personnages et les rend d’autant plus vivants.

b)Présentation du texte : Louise écrit à Renée, sa fidèle amie pour lui raconter la cour que Felipe de Henarez, devenu baron de Macumer, lui fait. Elle aime avoir de l’emprise sur cet homme, ce qui lui permet de vivre sa passion pleinement. Pour elle, la philosophie sans l’amour est une imposture (=une tromperie, un mensonge).

c)Mouvements :

1er mouvement : « tu étais…auprès de toi »  (l.1 à 8): La philosophie sans l’amour n’est rien

2d mouvement : « vertu de femme…corps » (l. 8 à 16): la fausseté du mariage de raison

3ème mouvement : « Mais, chère…la tienne » (l.16 à 26) : l’amour comme vertu

d)Problématique : En quoi cette lettre de Louise fait-elle l’éloge de l’amour-passion comme une valeur suprême ?

 

1er mouvement : La philosophie sans l’amour n’est rien (l.1 à 8)

  Louise commence par comparer son amie Renée à elle : « Tu étais comme moi la jeune fille la plus instruite » (l.1). Elle se met tout d’abord sur un pied d’égalité avec elle, en évoquant la raison de cette similitude grâce à la proposition subordonnée circonstancielle de cause : « parce que nous avions beaucoup réfléchi sur peu de choses ». A cette comparaison qui met en valeur les raisons de leur amitié, de leurs affinités, Louise introduit une opposition avec la conjonction de coordination « mais » : « mais, mon enfant, la philosophie sans l’amour (…) est la plus horrible des hypocrisies conjugales. » (l.2). Une antithèse s’installe et met en valeur le choix totalement différent des deux personnages, quant à leur relation sentimentale. La philosophie est présentée ici comme la capacité à réfléchir sur le monde, ce que font les deux amies en s’écrivant des lettres, en échangeant leurs points de vue sur la vie et sur leurs choix affectifs. Or, Louise, en introduisant la préposition « sans » qui retire à la philosophie « l’amour » en arrive à la conclusion suivante : « la philosophie sans l’amour (…) est la plus horrible des hypocrisies conjugales. » (l.2-3). Le superlatif relatif de supériorité « la plus horrible des hypocrisies conjugales » vient porter un jugement très sévère sur le choix de Renée. Le mariage de raison est un masque. En effet, le nom « hypocrisie » vient du grec « hupokrisis » qui signifie « action de jouer un rôle sous un masque, feinte ». La philosophie est alors associée au « hibou de la sagesse » (l.4) qui renvoie indirectement à Athéna, déesse vierge de la sagesse. L’oiseau, attribut d’Athéna symbolise la connaissance, la sagesse et la perspicacité, mais  cette feinte sagesse ferait fuir la passion la plus grande, même le plus grand imbécile s’en apercevrait.

   La philosophie s’oppose ici à la passion. Louise dit indirectement que Renée est orgueilleuse lorsqu’elle définit son action ainsi : « Tu te fais le destin, au lieu d’être son jouet. » (l.5-6). Sa raison lui permet de choisir sa destinée, d’en être maitresse, ce que la passion ne permet pas, car nous devenons dans ce cas le jouet du destin, puisque nous ne maitrisons pas toujours les élans humains, ni les sentiments qui sont plus instables. La philosophie est donc associée à la raison et à un destin maitrisé. Nous avons ici une antithèse entre le champ lexical de la raison (philosophie, hypocrisie conjugale, hibou de la sagesse, découverte peu récréative, destin) et celui de la passion (amour, jouet du destin). Le chiasme est utilisé pour montrer l’opposition et les différences entre le choix des deux amies : « beaucoup de philosophie (A) et peu d’amour (B), voilà ton régime ; beaucoup d’amour (B) et peu de philosophie (A), voilà le mien. »(l.6-7). Le chiasme forme ici une antithèse, montrant des choix diamétralement opposés entre les deux jeunes femmes. Louise ajoute ensuite une référence à Rousseau, comme un clin d’œil à un roman épistolaire du siècle précédent.

    Le roman épistolaire La Nouvelle Héloïse  de J.J Rousseau, écrit au XVIIIème siècle, relate la passion amoureuse entre Julie d’Etange, une jeune noble, et son précepteur Saint-Preux, un homme d’origine humble. Mais Julie lutte contre sa passion pour St-Preux au début de l’histoire, car elle sait son mariage impossible en raison des différences sociales. Julie fait donc appel à sa raison pour ne pas succomber à la passion, tout comme Renée. Mais d’après Louise, Renée est encore plus forte que Julie pour suivre sa raison. C’est pourquoi Julie n’est qu’une étudiante auprès de Renée.

 

 

 

2d mouvement : La fausseté du mariage de raison (l. 8 à 16)

  Le groupe nominal « vertu de femme » (l.8) suivi d’un point d’exclamation est comme une réponse à l’attitude de Renée. Elle suit sa raison par vertu, mais le point d’exclamation vient introduire l’indignation de Louise qui estime que suivre sa raison en amour, c’est rater sa vie sentimentale.

Le verbe « toiser » signifie « regarder de haut en bas », parfois avec dédain (= en regardant de haut) et avec une nuance d’hostilité (=avec inimitié, comme un ennemi). La réponse à cette interrogation vient renforcer cette nuance d’hostilité, quand Louise répond : « Je me moque de toi. » (l.9). Les jugements de valeur à caractère péjoratif s’accumulent : « tu as immolé ta jeunesse » (l.9), « tu t’es faite avare » (l.10). La jeunesse de Renée a été sacrifiée, elle n’a pas su faire preuve de générosité en amour, en mettant sa raison au premier plan. Louise juge sévèrement son amie Renée.

  Louise rappelle que le mari de Renée, Louis, l’aime, mais que cet amour risque de le rendre aveugle. La proposition subordonnée circonstancielle d’hypothèse « s’il t’aime », suivie de la proposition principale « il ne s’apercevra jamais que tu te conduis (…) comme une courtisane. » Cette comparaison à la courtisane, femme de peu de vertu, est assez dévalorisante. En effet, c’est l’intérêt qui prime dans ce choix et non l’amour :  pour Renée, l’intérêt de sa famille ; pour la courtisane, l’intérêt de sa fortune, de son argent. La courtisane est une femme qui gagne sa vie en séduisant les hommes. C’est une femme souvent élégante, mais qui fait payer ses faveurs. Si l’amour est désintéressé, l’intérêt se situe du côté de l’avidité qui est un défaut, à savoir vouloir plus pour soi. Son mari sera donc heureux, mais aveugle. Heureux, car il éprouve du plaisir à aimer sa femme.

   Pourtant, s’il devient « clairvoyant », à savoir « lucide », il risque de se rendre compte du problème, l’interrogation le souligne : « mais ne finirait-il point par se dispenser de reconnaissance pour une femme qui fait de la fausseté une sorte de corset moral aussi nécessaire à sa vie que l'autre l'est au corps ? » (l.14-16). La conjonction de coordination « mais » vient introduire un contrargument dans le déroulé de la lettre : si le mari est heureux dans un premier temps, il risque la désillusion dans un second temps. La métaphore « corset moral » met en évidence l’absence de liberté au niveau sentimental que ce choix de raison entraine. A nouveau, l’idée d’hypocrisie est présente à travers celle de fausseté. Par conséquent, le mari risquerait d’être déçu de sa femme, de manquer de reconnaissance pour elle et donc d’estime. Cela pourrait avoir des conséquences morales négatives, mais aussi des conséquences sur la qualité de leur relation : sans reconnaissance pour l’autre, l’amour existe-t-il vraiment ?

 

3ème mouvement : L’amour comme vertu (l. 16 à 26)

  A nouveau, un autre « mais » (l.16), introduisant l’opposition, vient mettre en évidence l’idéal de Louise, plaçant l’amour-passion au-dessus de tout : « Mais, chère, l'amour est à mes yeux le principe de toutes les vertus rapportées à une image de la divinité ! » (l.16). Le mot « vertu », vient du latin « virtus » qui signifie « force morale ». « Virtus » provenant lui-même de « vuir », la force morale par excellence. L’amour est sublime, il est semblable au divin, il est moralement bon (cf : « toutes les vertus »). La passion d’une telle affirmation ressort grâce au point d’exclamation, mimant une vive émotion. La métaphore « l’amour est l’infini de notre âme » (l.17-18) met en évidence le caractère absolu du sentiment amoureux qui ne peut se justifier d’aucun calcul, car il est spontané et  émotionnellement fort. Il est ce qui nourrit notre âme, ce qui donne du sel à la vie. Il nous transporte corps et âme. Le champ lexical du devoir s’oppose ici à celui de l’amour. Le champ lexical du devoir est visible grâce à l’utilisation des mots : « estimer », « devoir », « règle », « mesure ». Le champ lexical de l’amour se traduit par les termes : « infini de notre âme », « amour », « sentiment ». Pour Louise, le devoir se situe du côté des athées qui ne croient en rien et surtout pas en l’amour qui est un sentiment divin et féminin, c’est pourquoi Louis jouera le rôle féminin, car il aime passionnément, alors que Renée jouera celui de l’homme, puisqu’elle suit en premier lieu sa raison.

  Louise est malheureuse de lire les lettres de Renée : « pense à ses premiers cris que ta lettre m’arrache ! » (l.24). Le point d’exclamation vient renforcer l’indignation et la tristesse de Louise qui voudrait mettre son amie sur le droit chemin de ce en quoi elle croit. Le verbe « se lamenter » (l.24) renforce la peine de Louise qui aimerait pouvoir être sur la même longueur d’onde que Renée. Louise décrit tout de même son amie de façon élogieuse avec l’adverbe intensif « si » qui renforce ce portrait positif : « mon humble ange aux yeux noirs, si pure et si fière, si grave et si élégante » (l.23). Renée est belle, pure et élégante. Les adjectifs à caractère laudatif (=qui en font la louange, l’éloge) ne manquent pas. Pourtant, Louise conclut en parlant de la logique de la passion aussi cruelle que celle de son amie. Elle revient sur des critiques, ne supportant pas le choix de celle avec qui elle correspond et tentant de la convaincre. Elle compare la passion à la logique cruelle de son amie Renée : « la passion est un élément qui doit avoir une logique aussi cruelle que la tienne. » (l.25-26). Le ton est plutôt polémique  (« polemos » en grec ancien signifie « guerre »), à savoir agressif, à travers la comparaison « aussi cruelle que la tienne ». On voit très bien dans cette lettre l’idéologie de Louise qui place la raison en-dessous de la passion, voire la méprise.

 

Conclusion : a)Bilan (réponse à la problématique) : Louise semble sûre de ce qu’elle défend : l’amour-passion comme une valeur et un bien suprême. Elle méprise un peu son amie, employant parfois un ton polémique, puisque cette dernière a contracté un mariage de raison.

b)Ouverture : La suite du roman ne donnera pas raison à Louise qui finira par mourir de chagrin : la passion consume, elle ne permet pas un bonheur durable. Nous saurons donc que la réalité la rattrapera.

 

 

Grammaire :

 

1-Analysez le membre de phrase « parce que nous avions beaucoup réfléchi sur peu de choses ». Donner la nature et la fonction de cette proposition et remplacez « parce que » par un mot ou groupe de mots de même sens.

Parce que nous avions beaucoup réfléchi sur peu de choses : proposition subordonnée circonstancielle de cause (nature), complément circonstanciel de cause du verbe « être » (dans la  proposition principale) (fonction).

 

« parce que » peut être remplacé par « comme », « étant donné  que », « puisque ».

 

2-Analysez la phrase « As-tu toisé la vie ? » (l.9) et transformez-la en proposition subordonnée interrogative indirecte en commençant par « je me demande ».

 

As-tu toisé la vie ?:

1)Interrogation directe avec inversion du sujet et du verbe (as-tu : as = auxiliaire avoir, tu = pronom personnel sujet).

2)C’est une interrogation totale, car on peut répondre par oui ou par non. Ex : Oui, tu as toisé la vie/ Non, tu ne l’as pas toisée.

Transformation : Je me demande si tu as toisé la vie.

 

 

 

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