L.LN°7: l'amour de raison selon Renée dans MEMOIRES DE DEUX JEUNES MARIEES, Balzac
Le choix d’un mariage de raison (lettre 9 de Renée à Louise)
Renée explique les raisons de son mariage précipité : si elle refuse d’épouser Louis de l’Estorade, elle devra retourner au couvent. Pourtant, rendre heureux un homme qui a été secoué par les épreuves de la vie est une tâche louable à laquelle Renée veut se consacrer.
« Néanmoins, ne crois pas que les choses humbles auxquelles je me dévoue soient exemptes de passion. La tâche de faire croire au bonheur un pauvre homme qui a été le jouet des tempêtes est une belle œuvre, et peut suffire à modifier la monotonie de mon existence. Je n'ai point vu que je laissasse prise à la douleur, et j'ai vu du bien à faire. Entre nous , je n'aime pas Louis de l’Estorade de cet amour qui fait que le cœur bat quand on entend un pas, qui nous émeut profondément au moindre son de la voix, ou quand un regard de feu nous enveloppe ; mais il ne me déplaît point non plus . Que ferai-je, me diras-tu, de cet instinct des choses sublimes, de ces pensées fortes qui nous lient et qui sont en nous ? Oui, voilà ce qui m'a préoccupée ; eh ! bien, n'est-ce pas une grande chose que de les cacher, que de les employer, à l'insu de tous, au bonheur de la famille, d'en faire les moyens de la félicité des êtres qui nous sont confiés et auxquels nous nous devons ? La saison où ces facultés brillent est bien restreinte chez les femmes, elle sera bientôt passée ; et si ma vie n'aura pas été grande, elle aura été calme, unie et sans vicissitudes. Nous naissons avantagées, nous pouvons choisir entre l'amour et la maternité. Eh ! bien, j'ai choisi : je ferai mes dieux de mes enfants et mon Eldorado de ce coin de terre. Voilà tout ce que je puis te dire aujourd'hui. Je te remercie de toutes les choses que tu m'as envoyées. Donne ton coup d'œil à mes commandes dont la liste est jointe à cette lettre . Je veux vivre dans une atmosphère de luxe et d'élégance et n'avoir de la province que ce qu'elle offre de délicieux. En restant dans la solitude, une femme ne peut jamais être provinciale, elle reste elle-même. Je compte beaucoup sur ton dévouement pour me tenir au courant de toutes les modes. Dans son enthousiasme mon beau-père ne me refuse rien et bouleverse sa maison. Nous faisons venir des ouvriers de Paris et nous modernisons tout. »
Mémoires de deux jeunes mariées, Balzac, 1842.
Grammaire :
1-Analysez la phrase (les propositions notamment) « ne crois pas que les choses humbles auxquelles je me dévoue soient exemptes de passion » (l.1).
2-Analysez la proposition « qui a été le jouet des tempêtes » (l.2). Nature + fonction de la proposition + nature et fonction de « qui ».
3- Analysez la phrase « Que ferai-je, me diras-tu, de cet instinct des choses sublimes, de ces pensées fortes qui nous lient et qui sont en nous ? » (l.7-8).
4-Donner la fonction de « pour me tenir au courant de toutes les modes » (l.18-19)
5-Analysez la proposition « et si ma vie n'aura pas été grande » (l.11-12) : nature et fonction.
Correction de la lecture linéaire
Introduction :
a)Contexte historique et littéraire : En 1841, Balzac publie Mémoires de deux jeunes mariées en feuilleton dans le journal La Presse.Le roman complet paraît en 1842. Il le dédicace à G.Sand, une amie à lui. Il choisit la forme épistolaire, alors même que le genre n’est plus à la mode, pour nous faire entrer dans l’intimité de deux jeunes mariées, fraichement sorties du couvent. Louise, de tempérament passionné, va faire la connaissance de Felipe Henarez, tandis que Renée, plus réfléchie, fait le choix d’un mariage de raison en Provence. La correspondance des deux amies permet de confronter deux visions différentes du mariage, l’une privilégiant la force des sentiments, l’autre considérant que la maitrise de soi et la raison sont la clé du bonheur.
b)Présentation du texte : Dans la lettre 9, Renée explique à Louise les raisons de son mariage précipité. Elle ne veut pas retourner au couvent et souhaite soutenir son mari dans les tempêtes de la vie.
c)Mouvements :
1er mouvement (l. 1 à 8) : description de la vie maritale
2ème mouvement (l.8 à 14) : le bonheur de la famille
3ème mouvement (l.14 à 20) : demande à Louise
d)Problématique : comment le choix d’un mariage de raison est-il mis en valeur par Renée dans ce roman épistolaire ?
1er mouvement (l. 1 à 8) : description de la vie maritale
L’adverbe « néanmoins » introduit une opposition. En effet, Renée veut montrer que son choix n’est pas dénué de passion, contrairement à ce que pourrait en penser Louise. Dans la lettre 7, Louise reprochait à Renée de sortir d’un couvent pour aller dans un autre, d’entrer en ménage avec une soumission d’agneau. Renée souhaite apporter des objections aux affirmations de son amie. L’impératif présent à valeur de défense « ne crois pas » (l.1) souligne l’importance des choses simples dans lesquelles on peut mettre une certaine intensité de sentiments. Louis de l’Estorade est désigné par la périphrase « le pauvre homme », ajoutant un caractère pathétique à la situation (le registre pathétique consiste à s’émouvoir à la vue des souffrances d’autrui). Elle souhaite soutenir son mari dans la vie. De plus, ce choix va lui permettre de sortir de la monotonie de son existence. L’antithèse qui suit avec la répétition du verbe vouloir d’une part employé à la forme négative et d’autre part à la forme affirmative (« je n’ai point vu »/ « j’ai vu »), avec l’opposition « douleur » et « bien » insiste sur la qualité de son choix : elle pense avoir une intention vertueuse, celle de faire le bien. Renée se montre ensuite sincère pour décrire les liens qui l’unisse à son mari, Louis de l’Estorade. Elle reconnaît qu’elle n’aime pas Louis passionnément. La négation totale « je n’aime pas Louis de l’Estorade de cet amour qui fait que le coeur bat » le prouve. Le champ lexical de la passion est bien présent avec les mots « coeur », « émeut », « regard de feu », mais pour mieux le nier. Elle y ajoute une objection introduite par la conjonction de coordination « mais » : « mais il ne me déplait pas », soulignant qu’il n’est pas repoussant. S’ensuit une question rhétorique mettant en valeur « cet instinct des choses sublimes » (l.7), « ces pensées fortes », chers à son amie Louise. Que faire de cette partie de soi ? C’est ce à quoi elle va tenter de répondre, faisant les questions et les réponses, apportant des objections à son argumentation tout en les réfutant.
2ème mouvement (l.8 à 14) : le bonheur de la famille
Renée répond « oui » à l’interrogation totale qu’elle vient d’énoncer. Elle a pensé à ce problème et a tenté de le résoudre. Elle y répond par une nouvelle question rhétorique. On peut cacher ces pensées fortes et les employer au bien-être de la famille. On peut mettre sa passion au service de ses enfants par exemple et de son mari. Le champ lexical de la joie est présent avec les termes « félicité » et « bonheur de la famille ». Nous ne sommes pas obligés d’être transportées par la présence de notre mari, mais nous pouvons l’être par l’énergie que nous mettrons à le rendre heureux, lui et sa descendance. Le terme « félicité » est encore plus fort que celui de bonheur, puisqu’il désigne un grand bonheur, une forme de béatitude. La félicité est donc un bonheur intense, un bonheur passionné. De plus, la passion telle que Louise la conçoit va avec la beauté de la femme qui ne dure qu’un temps : « la saison où ces facultés brillent est bien restreinte chez les femmes » (l.10-11). Mieux vaut par conséquent s’attarder sur ce qui dure, notamment sur ce qui perdure après notre mort : nos enfants. Renée introduit ensuite une supposition avec la proposition subordonnée circonstancielle d’hypothèse (ou de condition) « si ma vie n’aura pas été grande ». En effet, sa vie n’aura pas été grande dans la mesure où elle n’aura pas eu une vie mondaine. Elle n’aura pas forcément vécu les plaisirs de la vie en société, comme Louise, mais elle aura connu la sérénité qui se trouve dans les choses simples et soulignée par l’énumération suivante : « elle[ma vie] aura été calme, unie et sans vicissitudes. » (l.12). Les vicissitudes renvoient à l’instabilité, au changement. La préposition « sans » montre que la vie de Louise sera donc exempte de ces vicissitudes, de ces tracas liés aux changements allant du bien au mal. Elle aura choisi la maternité plutôt que l’amour passionné. La métaphore « mes dieux de mes enfants » associe la béatitude du divin et celle de sa vie maternelle, par la mention des naissances à venir. Renée aura en effet trois enfants dans la suite du livre. Sa propriété sera son Eldorado. Le champ lexical du bonheur est donc bien présent dans cette lettre. L’épanouissement n’est pas contenu dans la passion pour un homme, mais dans la passion que nous pouvons mettre à construire une famille et à la rendre heureuse.
3ème mouvement (l.14 à 20) : demande à Louise
Louise semble avoir eu des attentions matérielles pour son amie. Renée l’en remercie. Renée veut donner à sa vie provinciale une note d’élégance et de luxe, propre à son amie Louise. Elle lui demande conseil à travers l’impératif présent à valeur de conseil : « donne un coup d’oeil à mes commandes » (l.15). Leur complicité amicale est présente dans cette partie de la lettre. Renée veut continuer à être à la mode, grâce aux conseils que Louise voudra bien lui prodiguer. Le complément circonstanciel de but « pour me tenir au courant de toutes les modes » le souligne. Il est renforcé par le déterminant indéfini « toutes », incluant une forme de globalité. Renée veut tout savoir sur la mode. Elle ne souhaite pas s’isoler de la vie parisienne, elle a envie que son amie l’enrichisse de ses connaissances mondaines. Elle insiste aussi sur la générosité de son beau-père qui s’intéresse à la famille et tente de la rendre heureuse et d’écouter ses souhaits. Elle rénove son habitat pour le rendre plus beau, afin qu’il corresponde à l’Eldorado qu’elle espérait.
Conclusion :
a)Bilan (réponse à la problématique) : Le mariage de raison, décrit par Renée, est loin d’être un mariage ennuyeux. Elle souhaite y mettre du coeur à l’ouvrage et même de la passion, afin que sa famille soit heureuse. Elle propose donc un projet épanouissant. Elle n’est pas dans la résignation d’un mariage arrangé, mais plutôt dans l’acceptation et la gratitude de ce que la vie lui offre. Elle a la volonté de construire une vie familiale en harmonie avec son idéal de bonheur. Son énergie passionnée sera tournée vers sa famille.
b)Ouverture (sur l’explicit, la fin de l’ouvrage) : Dans ce roman à thèse, Balzac donnera raison à Renée, puisque celle-ci sera décrite comme heureuse, alors que son amie Louise finira par dépérir en raison de la jalousie que lui cause l’expression de sa passion aveugle. Elle mourra donc à 30 ans, victime d’une terrible méprise (=erreur de jugement). Balzac nous montre, à travers cet exemple, que la passion n’est pas durable, mais qu’elle est en plus sujette aux vicissitudes (=aléas de la vie, changements, les hauts et les bas). Mieux vaut faire un choix raisonnable, conforme à celui de Renée : c’est ce que Balzac défend à travers sa fiction.
Grammaire :
1-Analysez la phrase (les propositions notamment) « ne crois pas que les choses humbles auxquelles je me dévoue soient exemptes de passion » (l.1).
Ne crois pas : proposition principale à la forme négative, comprenant une négation totale.
Que les choses humbles auxquelles je me dévoue soient exemptes de passion : proposition subordonnée complétive, COD du verbe croire.
Cette proposition comprend une proposition subordonnée relative imbriquée : auxquelles je me dévoue, Ct de l’antécédent « choses humbles »/épithète liée de « choses simples ».
auxquelles : pronom relatif, COI du verbe dévouer. (transformation : je me dévoue à ces choses simples (COI, le pronom relatif à la même fonction que son antécédent).
2-Analysez la proposition « qui a été le jouet des tempêtes » (l.2). Nature + fonction de la proposition + nature et fonction de « qui ».
qui a été le jouet des tempêtes : proposition subordonnée relative, Ct de l’antécédent « un pauvre homme »/ épithète liée de « pauvre homme ».
qui : pronom relatif, sujet du verbe « être ». Il a la même fonction que son antécédent « pauvre homme. »
3- Analysez la phrase « Que ferai-je, me diras-tu, de cet instinct des choses sublimes, de ces pensées fortes qui nous lient et qui sont en nous ? » (l.7-8).
1)C’est une interrogation directe avec inversion du sujet et du verbe : ferai-je/diras-tu. + avec un point d’interrogation.
2)C’est une interrogation totale à laquelle on peut répondre par OUI ou par NON. Renée répondra par OUI.
4-Donner la fonction de « pour me tenir au courant de toutes les modes » (l.18-19) : Ct circonstanciel de but du verbe « compter ».
5-Analysez la proposition « et si ma vie n'aura pas été grande » (l.11-12) : nature et fonction.
Proposition subordonnée circonstancielle d’hypothèse ou de condition (nature)
Ct circonstanciel d’hypothèse (fonction) du verbe de la principale « être ».