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  • Ce livre propose un lien entre les émotions et le rapport à la nourriture. Il aborde l'alimentation sous l'angle de la psychologie. Merci à Gabrielle et à Cassandra pour ce partage! Etudiante de BTS diététique 1ère année.

     


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  • L’évolution de la Vénus

    Georges Vigarello, propos recueillis par Alexandre Lacroix publié le 28 août 2012 10 min

    L’histoire de l’art est ce vaste laboratoire qui, régulièrement, met au point de nouveaux prototypes du beau. De la Vénus antique au déhanchement de Marilyn, Georges Vigarello en dresse le panorama.

    Le canon universel

    « Deux artistes ont dominé la sculpture grecque : Phidias (– 490/– 430), le grand maître classique, et Praxitèle (vers – 400/– 326), influencé par la philosophie de Platon. La Vénus capitoline (vers – 300) est sans doute l’imitation d’une œuvre originale de Praxitèle.

    Ce dernier abandonne la statuaire froide, austère de Phidias, pour manifester quelque chose qui est de l’ordre du sensible, voire de l’érotique. On peut se demander, ici, si les gestes de la main sont pudiques ou s’ils désignent les symboles de la fécondité que sont le sexe et la poitrine. La Vénus se prépare peut-être au bain, son habit est posé sur ce qui semble être une fontaine. Sa pose elle-même, avec la jambe en retrait, hésite entre la timidité et la suggestion. La torsion légère des jambes, l’inclinaison vers l’avant du genou qui communiquent un mouvement vivant à l’ensemble de la statue sont, sur le plan technique, la grande innovation de Praxitèle. Cette Vénus prudente, en léger déséquilibre, manifeste ainsi une conscience de soi. Elle possède une intériorité, elle veut retenir quelque chose d’elle-même.

    La beauté que nous voyons ici se donne pour absolue, unique. L’artiste cherche à représenter une perfection du corps et du visage de la femme, inégalables et comparables à nulle autre. Le but du sculpteur, sous l’influence directe de Platon, est d’atteindre l’Idée du beau. Cependant, une nuance est ici indispensable : dans la Grèce de cette époque, la beauté est d’abord conçue comme masculine. La statue du héros masculin s’impose, affirme sa force comme une évidence totale. Le jeu du retrait, de l’hésitation, le balancement de cette Vénus participent d’une conception du féminin éloignée du triomphe viril. »

     

    La femme-fleur

    « L’influence de l’Antiquité est ici évidente : le déhanché de la Vénus dans La Naissance de Vénus (1482), de Sandro Botticelli, est très comparable à celui de la Vénus de Praxitèle. Au drapé, a succédé un jeu avec la chevelure – qui est traitée comme une étoffe, à la fois pudique et suggestive. La différence est que, à la Renaissance, la femme devient l’incarnation de la beauté suprême. Ce qui ne s’est pas fait sans négociations. De nombreux traités de beauté écrits entre les XIVe et XVIe siècles tentent de résoudre cette contradiction apparente : comment se fait-il que la femme, qui ne jouit pas du statut social le plus élevé, puisse être le symbole de la perfection ? Les auteurs vont jusqu’à se demander si l’on ne pourrait pas considérer certains animaux comme magnifiques, plus accomplis encore que l’être humain, et donc plus aptes à symboliser le beau… Mais la société de la Renaissance est en pleine évolution, comme l’atteste Le Livre du courtisan de Baldassare Castiglione. Pour ce dernier, la dame du palais doit avoir de la ressource, du répondant, elle doit savoir intriguer et recevoir. La femme est, par excellence, l’être du dedans, elle règne dans les intérieurs. Un partage des rôles s’opère donc avec l’homme, qui étend son action au dehors. Au terme de ces tractations, l’idée s’impose, jusqu’à nos jours, que la beauté est par essence féminine. Notons que le corps de la Vénus de Botticelli est très blanc : cette femme est spiritualisée, sa silhouette est davantage tirée des ressources de l’esprit et de l’imagination que de l’observation. Rien à voir avec les corps denses, charnus, pesants de Rubens : ici, tout est diaphanéité. Vénus est en apesanteur, elle n’a aucun poids, car elle est pure : c’est une idée du beau, de l’harmonie avec la nature qu’elle suggère. En même temps, cette impression que la femme participe de la puissance d’éclosion des plantes, des fleurs, qu’elle est prise dans le dynamisme printanier, en fait un être luxuriant et immaîtrisable – par là, elle acquiert un pouvoir incontestable. À la Renaissance, l’homme a pour fonction de maîtriser la nature, tandis que la femme émerge de la nature. »

     

    Le très-haut et le bas

    « Si Vénus prend de l’importance à la Renaissance, le prestige de la Vierge ne s’efface pas. Évidemment, la Vierge représentée est vêtue et donne toute son importance à l’habit. Remarquez, ici, dans La Vierge au lapin (1526) que Le Titien représente l’habit féminin ‘‘moderne’’ : la ceinture s’est resserrée au niveau de la taille ; l’évasement de la robe doit ensuite envelopper les jambes, au point qu’on ne puisse pas les deviner. La silhouette est donc hiérarchisée, divisée en deux parties : le bas reste anonyme, caché, tandis que le haut, surtout le buste, les mains et le visage, manifeste l’esprit de la personne. La main en particulier est spiritualisée : ici, elle touche un lapin, petit animal qui, comme dans la Dame à l’hermine de Léonard de Vinci, symbolise la pureté et l’innocence. Le regard est un autre symbole spirituel important. La pensée de la Renaissance suppose que la lumière vient de l’œil : le regard est comme un flambeau posé sur les êtres. Par le regard de la servante et de l’homme, la Vierge rayonne ; le regard de Jésus enfant illumine la blancheur du lapin. »

     

    La folie du moment

    « On retrouve dans Les Hasards heureux de l’escarpolette (1767), de Fragonard, la nature luxuriante mais, par rapport à l’univers mental de la Renaissance, un changement fondamental est apparu : il n’y a plus d’absolu, la beauté n’est plus unique et inégalable. Elle est le produit du hasard, de la mise en scène ; elle devient fugitive et subjective. Dans les statues de Praxitèle, dans les tableaux de Botticelli ou du Titien, la beauté s’impose, elle vient vous frapper. Elle n’est pas affaire de goût.
    Sa force est celle de l’Idée platonicienne. Que se passe-t-il donc au XVIIIe siècle ? L’appréhension de la beauté devient empirique. Je peux faire des expériences multiples de la beauté. D’ailleurs Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique (1764), explique qu’il est impossible d’écrire un traité du beau, car ce dernier est trop divers. Dans un passage savoureux, il se place du point de vue d’un crapaud, pour qui nulle n’est plus belle que sa crapaude, avec ses yeux globuleux. La beauté est désormais faite de moments, de rencontres. En une fraction de seconde, un homme glisse un coup d’œil indiscret sous les jupes d’une femme, elle s’offre à son regard. Cela dure peu de temps, c’est léger : la beauté du XVIIIe siècle est une promotion de l’instant relatif. La notion même de hasard, présente dans le titre du tableau, est en rupture avec le néoplatonisme – l’éblouissement est un accroc à l’ordre du monde, et non la confirmation de son harmonie. »

     

    L’infini sensuel

    « La Maja desnuda, La Mignonne nue (1799), de Francisco de Goya, est encore une Vénus, une beauté profane. Avec elle, nous entrons dans un usage des fards, qui donne une place capitale au rouge. À la fin du XVIIIe siècle, on prend conscience des dangers que représentent les substances utilisées jusque-là pour exalter la pâleur du teint, le blanc d’Espagne, l’alum, la céruse, le vif d’argent, le mercure… Le rouge revient en force, mais un rouge qui se veut naturel. L’arc des sourcils de la Maja desnuda est probablement retravaillé. Ici, l’érotisation est avouée – il n’y a plus aucune prudence dans le dénudement de la chair, ni étoffe, ni cheveux pour la couvrir. Les bras recourbés vers l’arrière sont comme une invitation.
    Il est probable que Goya ait eu un modèle dans son atelier. C’est une hypothèse, mais il me semble difficile de parvenir à ce type de dessin des hanches, des jambes, du ventre sans modèle, puisqu’il n’y a rien d’idéalisé ni de stéréotypé dans cette peinture. Goya préfigure les beautés romantiques : l’artiste s’efforce de traduire quelque chose qui est de l’ordre de la profondeur, mais pas dans le sens religieux du terme ; il ne s’agit pas, pour le dire vite, d’exalter le caractère infini de l’âme. Cette profondeur est liée à l’expérience et à la complexité de l’être humain. Voici donc que surgit un infini d’un nouveau genre, humain et non divin, un infini du désir, de l’émotion, du sentiment. »

     

    Le goût des autres

    « Ce rêve de Tahiti, ce désir d’aller trouver dans le Pacifique un amour plus naturel, mieux accepté qu’en Occident, n’aurait jamais été possible sans l’influence du Voyage de Bougainville (1771). Le navigateur, en s’éloignant d’une Europe tenue dans les rets de l’aristocratie et de l’Église, a cru découvrir à Tahiti une nouvelle Cythère, une utopie de l’amour naturel et libre. Ce fantasme se prolonge au XIXe siècle. D’une part, c’est le siècle où l’on ferme les fenêtres, où l’on pose des rideaux, où l’on met plusieurs nappes sur les tables – c’est un siècle qui recouvre et réprime, comme l’attestent les mœurs bourgeoises ou le modèle de l’Angleterre victorienne. D’autre part, cette époque voit s’affirmer l’autonomie du désir et de la sexualité. L’épanouissement, il faut aller le chercher ailleurs, en Orient ou sur les îles lointaines. Baudelaire, Flaubert, Rimbaud sont travaillés par cet attrait de l’exotisme.
    En peinture, cette tendance s’affirme dans la période tahitienne de Gauguin. Ces précisions faites, quel regard porte le peintre sur cette Vénus noire, Manao Tupapau (1892) ? À l’évidence, cette femme est dominée, on sent que l’observateur est en position de supériorité. Pourtant, ce tableau ne cadre pas avec l’imaginaire colonial. Il témoigne aussi d’une cassure incroyable dans la tradition occidentale : Gauguin découvre la beauté de la peau noire, celle de l’autre. L’artiste a non seulement renoncé à produire un canon de beauté universel inspiré de la morphologie européenne, mais il est fasciné par l’altérité, il se décentre. Cette découverte de la beauté noire ou métissée aura une influence très profonde jusqu’à aujourd’hui, il faut y voir un pas très important vers le relativisme et le multiculturalisme. »

     

    Le triomphe des lignes

    « Avec Louise Brooks, triomphe dans les années 1930 le modèle de la “garçonne”. Celle-ci ne se distingue pas seulement par son allure athlétique, sa coupe de cheveux courte, mais également par sa silhouette élancée : délivrée du corset, la garçonne est linéaire. La courbe du corps est prolongée par la linéarité du visage, avec l’accentuation du trait du sourcil et la frange extrêmement nette, arrêtée, sans bavure. Colette appelait cela une silhouette “saucisson”, d’un seul morceau, sans rupture au niveau des fesses ou du buste. Un type physique s’impose. La femme y adopte des “signes” masculins : une manière de signifier, une autonomie, une “libération” dont aucun équivalent n’existait jusque-là. Ce modèle de beauté est de surcroît très exigeant, seules quelques rares actrices peuvent l’atteindre : Louise Brooks a un physique et un ressort exceptionnels, un pas magnifique, souple, félin. La garçonne est-elle une figure androgyne, comme on se plaît à le dire ? Ce n’est pas sûr, car Louise Brooks est aussi provocante, féminine, voluptueuse. »

     

    L’occupation américaine

    « Marilyn Monroe, un peu comme Brigitte Bardot, n’a pas un corps-ligne. Disons qu’elle invente une manière d’occupation, je dirais même d’enveloppement charnel de l’espace. Il n’est pas étonnant que la photographie la plus célèbre de Marilyn soit celle où l’on voit sa jupe s’envoler, à cause du souffle émanant de la bouche de métro : cette femme est un tourbillon qui creuse l’espace. Rien à voir avec le corps de Louise Brooks qui n’a que deux dimensions (p. 47), comme un trait ou une ombre : Marilyn a un corps-bloc, un corps-matière, qui n’exclut nullement le dynamisme, mais l’absorbe et assure ainsi sa victoire. »

     

    Les modes et moi

    « Il est des permanences remarquables dans les canons occidentaux : l’exigence de symétrie ou de continuité dans la structure du corps. Les membres cassés, pliés à 90 ° que vous voyez sur les sculptures indiennes ne satisfont pas le regard d’un Européen. Au fil du temps, la beauté est devenue plus dynamique, donc elle a intégré la dimension du mouvement : si la Vénus de Praxitèle est légèrement plus animée que celle de Phidias (p. 44), les femmes de Fragonard (p. 46) sont incroyablement plus mobiles que celles de la Renaissance. Quant à Marilyn Monroe ou à Louise Brooks (p. 47), elles ont une vitalité hors du commun.

    Aujourd’hui, certains canons de beauté sont imposés : il y a une injonction de maigreur et de jeunesse. Le corps n’est plus hiérarchisé, toute la silhouette est prise en compte, des pieds à la tête. Cependant, ces canons sont déjoués par une autre évolution : la beauté est devenue singulière. Cette exigence est nouvelle : il faut que la physionomie, le corps expriment une personnalité. C’est le cas de Laetitia Casta, Carla Bruni, Naomi Campbell, Monica Bellucci ou encore Kate Moss : plus encore qu’un type de beauté, chacune d’elles représente… elle-même. Louise Brooks ou Joséphine Baker étaient les figures de proue de deux évolutions sociales, la libération des femmes pour la première, la conversion des masses à la beauté exotique pour la seconde. Nos beautés actuelles se présentent comme des singularités. Je dirais donc que la progression de l’individualisme s’est emparée du paraître : l’exigence de s’inventer un look bien à soi le dispute à celle de se conformer aux canons dominants. » 


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  • Merci aux étudiantes du lycée d'Edouard Gand à Amiens d'avoir accepté de partager leur travail réussi:


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