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Citations sur le nouveau désordre mondial
Extrait d'une interview donnée dans "Philosophie magazine", tiré du dossier: "Qu'est-ce qu'une saine colère?"
Réponses données par le philosophe indient, Pankaj Mishra (9/01/2019).
De Daech au Brexit, de l’élection de Trump au développement du nationalisme en Inde ou en Russie, un même processus est à l’œuvre que vous n’hésitez pas à appeler une « guerre civile mondiale » – une guerre civile « mentale » et « intime » autant que sociale et politique. Que voulez-vous dire ?
"Nous sommes face à un étrange désordre psychique qui a été très tôt diagnostiqué par Rousseau lorsqu’il craignait l’avènement d’une société régie par l’intérêt individuel et gangrenée par l’envie, l’insatisfaction et la vanité. Ce sont ces pathologies qui se combinent pour former une guerre civile de basse intensité." Pankaj Mishra
Vous vous appuyez aussi sur Dostoïevski pour penser la colère. Vous revenez sur le voyage qu’il a fait à Londres, en 1862, à l’occasion de la première Exposition universelle, et où il fut impressionné par le Crystal Palace, un gigantesque bâtiment de fer et de verre à la gloire du nouveau monde industriel et commercial, qu’il considérait comme un effrayant symbole de la modernité.
Le Crystal Palace incarnait pour lui l’utopie démoniaque de cette société matérialiste et « rationnelle » où les individus ne suivent que leurs intérêts égoïstes et cherchent à s’approprier une part du butin de la croissance. Il était conscient que, dans les pays arriérés comme la Russie, de plus en plus de gens, obnubilés par les idées occidentales, allaient être attirés par ce Crystal Palace, mais que seuls quelques-uns pourraient y avoir accès. Pleins de ressentiment, les perdants pourraient vouloir prendre leur revanche dans la violence purement destructrice et le chaos. C’est la figure de l’homme du sous-sol, qui se sent superflu, éduqué dans la croyance en ses droits, ébloui par la modernité, mais qui fait ensuite l’expérience de son impuissance et veut prendre sa revanche. Dostoïevski a anticipé le cheminement de tous ces révoltés, des anarchistes aux terroristes, qui ont opté pour la violence et la destruction. Pankaj Mishra
Comment percevez-vous le mouvement social initié par les « gilets jaunes » en France, où l’expression de la colère a joué un rôle décisif ?
Et le peuple a le sentiment d’avoir été mal traité par les classes dirigeantes. Ce n’est pas qu’une question d’inégalités mais aussi de manières. Comme Voltaire face à Rousseau, Macron apparaît comme ce représentant de l’élite arrogante, déconnectée des aspirations du peuple et qui prétend moderniser la société par en haut. Il partage avec Voltaire la croyance que des autocrates éclairés peuvent décider de la forme que doit prendre la société, une croyance qui témoigne d’un mépris pour les gens ordinaires. Par ailleurs, il a paru beaucoup plus investi dans son image internationale et dans la rénovation de sa résidence. Cela met en rage les gens, bien plus que le fait de l’inégalité avec lequel ils avaient appris à vivre.
Auteur de: L’Âge de la colère. Une histoire du présent / Pankaj Mishra / Zulma / 544 p. / 22 € / En librairie le 4 avril.
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