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Le Monde des religions (août 2018): s'effacer du monde, "ces jeunes qui réinventent les retraites". (Thème: seuls avec tous)
«En quelques années, les effectifs de jeunes s'inscrivant aux retraites ont explosé », témoigne Louis Nagot, co-fondateur de Wake Up, une antenne parisienne du Village des Pruniers (le centre fondé en Dordogne par le maître zen Thich Nhat Hanh). Qui a dit que les retraites sont une affaire... de retraités ? Pour s'en convaincre, une recherche sur Google permet de découvrir l'offre croissante de temps hors du monde adressée à la jeunesse. Religieux ou laïques, il y en a pour toutes les sensibilités : des vacances en monastère aux stages de méditation, en passant par des week-ends halal dans le désert. L'attrait des jeunes pour ces expériences n'est pas nouveau en soi. Souvenons-nous de la vague de départs des hippies dans des ashrams au siècle dernier. « Le besoin de sens et de silence est inhérent à l'être humain, mais cette soif s'exprime dans une forme nouvelle au sein de cette génération », décrypte Inès Weber, psychologue co-fondatrice du Sésame, centre de culture spirituelle et auteur d'une enquête sur la spiritualité des 18-35 ans. « Une double exigence caractérise cette quête, poursuit la psychothérapeute : une certaine liberté d'autodidacte et un désir de profondeur, en réaction au contexte consumériste et hédoniste de la société actuelle. » Pour une génération sans cesse en quête de nouveaux objets et expériences, les retraites permettent de se recentrer sur son intériorité et d'attendre moins du monde extérieur. Julien, la trentaine, étudiant en sociologie, confirme que ses semaines de silence et de prière dans un centre de spiritualité ignatienne (jésuite) lui permettent de trouver en lui « cette eau qui ne donne plus soif. »
Contemplation contre réseaux sociaux
Entre les études ou le travail, les sorties et les loisirs, sans compter les constantes sollicitations générées par les écrans, le rythme de vie actuel est effréné pour nombre d'entre eux. « Au Village des Pruniers, en vivant tout au ralenti et en pleine conscience, j'ai compris que notre tendance à faire plusieurs choses en même temps est surtout un désir de fuite », raconte Céline, 25 ans, étudiante en droit. Aussi, ces temps de retour sur soi aident à se déconnecter des réseaux sociaux avec lesquels ont grandi les moins de 35 ans. Et des modes de relation à soi et aux autres que ces nouveaux outils ont engendrés. « Après ma retraite de yoga en Inde, confie Margaux, 28 ans, en postant une photo de moi sur Instagram, j'ai réellement pris conscience d'à quel point j'attendais la validation des autres ». En outre, certains types de retraites répondent au besoin de cette génération à vivre des relations authentiques, comme dans la communauté chrétienne oecuménique de Taizé ou au Village des Pruniers. Ceux-ci mettent en place des moments de partage et de parole. « Ici, on peut vraiment être soi. Je parle aux gens sans avoir peur de ce qu'ils peuvent penser de moi », confie Églantine, laquelle organise des sessions à Taizé. Mais ces coupures ne sont pas de tout repos. Dans les centres traditionnels, il est souvent demandé de s'astreindre à une discipline stricte marquée par le travail manuel et de longues heures d'une pratique contemplative. Un paradoxe qui n'en est pas un pour cette jeunesse éprise de liberté. Selon Inès Weber, « l'usage hédoniste que nous donne notre liberté dans cette société est extrêmement pauvre, et ne nous offre pas les moyens de travailler notre muscle du désir de l'essentiel ». Et l'expérience d'un cadre empêchant « de vouloir tout et son contraire », permet, toujours selon la psychologue, d'accéder à une liberté plus profonde, souvent inaccessible aux jeunes autrement. Pour autant, plus rares sont les jeunes cherchant une fuite définitive du monde. Quand ceux-ci s'isolent temporairement de la civilisation, c'est pour mieux la retrouver. Et mieux la transformer, comme en témoigne Ariane Vitalis, fondatrice d'Un Monde réenchanté, organisant des voyages introspectifs destinés aux jeunes culturels créatifs. « Ma génération ne veut pas être coupée du monde, mais contacter le meilleur de soi-même dans le silence et l'intériorité pour ensuite offrir le meilleur de soi à la société, à travers des projets sociaux ou écologiques par exemple. » Loin de n'être que des « retraités », ces jeunes sont des méditants militants.
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