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Ouvrage passionnant en lien avec A TABLE (BTS): PRECEPTES DE SANTE, Plutarque
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Sur la date (remarque extraite de l’édition des Belles Lettres, notice) : Quant à la date du traité, un seul point est certain, sans qu’on puisse préciser davantage : il est postérieur à 81, puisqu’il y est fait mention de la mort de l’empereur Titus.
Extraits de la notice des PRECEPTES DE SANTE in Plutarque, Œuvre morales, Traités 10-14, Les Belles Lettres, Paris, 2003, pp.94-98.
« […] Tout d'abord, Plutarque qui a toujours manifesté un vif intérêt pour les questions médicales : en plus de sa formation rhétorique et philosophique, s'était adonné à de sérieuses études de mathématiques et de médecine, auxquelles le préparait sa profonde connaissance de Platon et d'Aristote, il a toujours entretenu des relations suivies avec des médecins. Dans ses écrits, en dehors de ce traité, les développements et les remarques concernant cette matière sont fréquents en particulier dans les divers livres des Propos de table. D'une façon générale, les images et comparaisons empruntées à l'art du médecin abondent, et on peut dire que l'ensemble de son œuvre morale est dominée par le parallèle entre le rôle du médecin qui soigne les corps et celui du philosophe qui soigne les âmes. C'est en effet, second point important à noter, un thème permanent de la propagande morale de l'époque, comme on peut le voir chez Sénèque.
On tendait même, dans les premiers temps de l'empire romain, à faire rentrer la médecine parmi les connaissances nécessaires à une bonne culture générale. Enfin, il ne faut pas oublier que la médecine grecque est en grande partie d'origine philosophique et qu'elle en a toujours plus ou moins gardé le souvenir et subi l'influence. Le nom même des quatre sectes rivales les plus importantes : des Dogmatiques, des Empiriques, des Méthodiques et des Pneumatiques, l’attestent. Si les nécessités technique s’imposent à la médecine de devenir une discipline autonome comportant une formation qui lui est propre, le médecin, d'Hippocrate à Galien, veut être aussi un philosophe, et le moraliste répète que le philosophe doit être aussi un médecin ou même qu'il faut lier la médecine à la philosophie « car le médecin philosophe est l’égal des dieux ». C'est le sens, au début de ce traité, de la diatribe contre Glaucos, excellent médecin dans son art sans doute, mais spécialiste étroit qui refuse aux philosophes ce qu'il considère comme un empiètement sur son domaine particulier.
La valeur de cet ouvrage est donc morale beaucoup plus que médical, il appartient aussi au groupe des œuvres philosophiques de la morale pratique. Plutarque réagit en philosophe contre l'idéal de jouissance matérielle et la cupidité qui se répandaient alors dans l'Empire romain et gagnaient même l'esprit du monde grec. Il cherche moins à guérir la maladie qu'à la prévenir en donnant des conseils pour conserver la santé, condition nécessaire de la vie de l'esprit, par un mode de vie modérée et équilibrée. Il prêche la mesure, la résistance aux désirs et aux passions, la maîtrise de soi, la vertu acquise grâce à la philosophie. Mais, autant qu'à l'intempérance, il s'oppose à tout régime strict et uniforme, aux remèdes violents ou artificiels, à la rigueur stoïcienne visant à la suppression totale des plaisirs. Il veut, dans ce domaine comme ailleurs, qu'on ne brusque pas la nature, qu'on demeure dans un juste milieu, qu'on s'adapte aux circonstances. [...].
Plus familière chez nous par les souvenirs qu'elle a laissés dans le langage et la littérature est la théorie, particulièrement hippocratique, des 4 humeurs, ou plutôt des quatre constituants de l'humeur, substances inaltérables et indispensables à notre nature, comme les quatre éléments le sont à l'univers. Elles sont répandues dans l'organisme, et leur mélange détermine notre tempérament. Ce sont : le sang, qui vient du cœur, le phlegme, qui vient du cerveau, la bile jaune, qui vient du foie, la bile noire, qui vient de la rate. Seule leur quantité peut varier, surtout en raison des saisons, plus ou moins froides ou chaudes, humides ou sèches. L'excès de l'une d'entre elles provoque un déséquilibre qui se traduit par la maladie. Galien, à son tour, complétera cette théorie par l'étude des quatre tempéraments résultant de la prédominance d'une de ces humeurs : tempérament sanguin, phlegmatique, bilieux et mélancolique.
Enfin la préoccupation majeure de Plutarque dans ce traité est celle du régime, non seulement parce qu'elle est capitale dans toute la médecine grecque, mais parce qu'elle rejoint le souci primordial du moraliste, qui est d'indiquer un régime de vie mesurée, équilibrant travaux intellectuels et exercices physiques, pour aboutir, à travers la santé du corps, à la santé de l'âme. [...]. »
DIALOGUE DE PLUTARQUE.
L 'intempérance est incompatible avec l'amour de la sagesse et le goût de l'étude ; elle appesantit l'esprit, le plonge tout entier dans les sens, et donne à l'homme une vieillesse anticipée qui le rend inhabile à tout. Un zèle indiscret, qui se livre au travail sans ménagement, est une autre sorte d'intempérance. Rien n'use autant les organes qu'un travail excessif, qui, par un épuisement prématuré, énerve les forces. Il faut donc éviter toutes sortes d'excès capables d'altérer la santé. Dès le commencement de ce traité, Plutarque prévient l'objection, qui se présente naturellement, qu'en prescrivant des régies (=conseils) de santé, il usurpe les droits de la médecine et arrache les bornes qui la séparent de la philosophie; il fait voir que cette science, loin d'être déplacée dans un philosophe, est absolument nécessaire. Après quoi il prescrit l'usage sobre et modéré des aliments qui flattent le goût, et qui sont ordinairement les moins sains. Puis il passe au régime qui convient plus particulièrement aux gens de lettres, et traite cet objet avec assez d'étendue, comme celui qui a plus de rapport avec la philosophie. Il prescrit les frictions, la promenade et les bains; il interdit les viandes solides et trop succulentes, et recommande surtout l'usage de l'eau comme bien plus sain que celui du vin, même dans ces occasions où le corps, accablé de fatigue, demande qu'on répare ses forces épuisées. Les gens de lettres principalement doivent ménager leur corps avec le plus grand soin.
Extraits choisis en lien avec le thème de BTS: A TABLE
MOSCHION Et ZEUXIPPE« […] Il fut dit encore que les mets les plus simples sont toujours les plus sains ; qu'il fallait surtout éviter l'excès et la recherche dans les aliments, soit à l'approche d'une fête, soit lorsqu'on doit recevoir des amis, manger à la table d'un prince ou d'un grand, assister à quelqu'un de ces repas où presque toujours on est forcé de manger et de boire plus qu'on ne voudrait (1). Il faut d'avance, comme dans un temps de calme, disposer son corps et le préparer de loin contre les orages qui le menacent. Il est difficile, dans ces occasions, de s'en tenir à sa sobriété ordinaire, sans passer pour un homme déplaisant et fâcheux. Ainsi, pour ne pas mettre, comme on dit, feu sur feu, indigestion sur indigestion, il est bon d'imiter sérieusement la plaisanterie que fit un jour Philippe. Un de ses amis l'avait invité à souper à la campagne, et, croyant qu'il amènerait peu de monde, il n'avait pas fait de grands préparatifs. Mais Philippe étant venu avec une suite nombreuse, son hôte se trouva fort embarrassé. Le roi, qui s'en aperçut, fit dire sous main aux convives de se réserver pour la pâtisserie. Sur cet avis, dans l'attente du second service, ils ménagèrent le premier, qui, par là suffit à tout le monde. De même, lorsque nous devons nous trouver à un de ces repas où il est presque inévitable de tomber dans l'excès, ménageons d'avance nos forces (2), et portons-y un appétit bien sain. Si, l'estomac encore chargé, nous sommes forcés de recevoir des grands ou des amis qui viennent nous surprendre, et que, ne pouvant les refuser, nous ayons en tête des gens bien disposés, c'est alors qu'il faut s'armer contre cette mauvaise honte, si funeste aux hommes, et dire avec Créon (Eurip., Méd.) :
« Ami, dans ce moment, j’aime mieux te déplaire
Que de gémir bientôt pressé par la douleur. »
[…]. Hélas ! pouvons-nous dire aussi dans nos maladies, pour un peu d'eau froide, pour un bain pris mal à propos, pour un excès de vin, combien de plaisirs n'avons-nous pas sacrifiés ! de combien d'actions utiles ou d'amusements honnêtes ne nous sommes-nous pas privés !
Ces réflexions sont des remords cuisants qui entretiennent en nous un souvenir amer; et telles que des cicatrices qui restent encore après la guérison des plaies, elles nous avertissent d'observer, quand nous sommes en santé, un régime plus sage ; car un corps sain n'est guère sujet à des désirs violents et difficiles à dompter, ou, s'il s'en élève quelquefois de pareils, et qu'ils fassent effort pour jouir des objets qui les excitent, il faut leur résister avec fermeté. Après quelques importunités, qui sont comme des caprices d'enfant, ils s'apaisent dès que la table est ôtée ; et alors, loin de se plaindre qu'on leur fasse tort, ils se trouvent dans une disposition calme et tranquille, et attendent paisiblement le lendemain sans éprouver aucun malaise, aucune indisposition fâcheuse. Aussi Timothée disait-il, après un repas simple et frugal qu'il avait fait à l'Académie :
« Ceux qui soupent chez Platon s'en trouvent bien, même le lendemain. »
Alexandre ne voulut pas recevoir les cuisiniers que la reine Ada lui envoyait, et dit qu'il en menait toujours avec lui de bien meilleurs. C'était, pour le dîner, l'exercice qu'il prenait avant le jour, et, pour le souper, un dîner frugal.
Je n'ignore pas qu'un travail forcé, une chaleur excessive, un refroidissement subit, causent bien des maladies. Mais, comme la partie odorante des fleurs, faible par elle-même, acquiert beaucoup de force quand elle est mêlée avec l'huile, de même l'abondance des humeurs donne, pour ainsi dire, du corps et de la substance aux causes extérieures des maladies, qui, sans cela, seraient peu dangereuses et s'émousseraient, ou même se dissiperaient facilement si elles trouvaient un sang pur et des humeurs saines. Mais si les humeurs surabondent, alors, comme d'une fange épaisse qu'on remue, il s'en exhale des vapeurs infectes qui rendent les accidents plus fâcheux et le traitement plus difficile. N'imitons pas ces pilotes qui, par un amour insatiable du gain, surchargent leurs vaisseaux, et sont obligés ensuite de pomper continuellement l'eau qui y entre. N'accablons pas notre corps sous l'excès de la nourriture, pour avoir ensuite à le fatiguer de remèdes ; mais tenons-le toujours léger et dispos, afin que, si quelque accident vient à l'appesantir, il reprenne bientôt sa légèreté naturelle, comme le liège revient toujours sur l'eau. […]
Dociles à l'avis des médecins, qui conseillent de mettre un intervalle entre le souper et le sommeil, n'allons pas, au moment où nous venons de charger notre estomac et de comprimer les esprits animaux, lorsque les aliments assez crus commencent à fermenter ; n'allons pas, dis-je, en arrêter la digestion en appesantissant le corps par le sommeil. Laissons-lui le temps de respirer et de reprendre son assiette. Ceux qui veulent qu'on s'exerce après les repas, ne prescrivent ni de grandes courses ni de violents jeux d'escrime, mais des promenades tranquilles ou des danses modérées. Exerçons de même notre esprit avant que de nous livrer au repos, pourvu que ce ne soit pas à des affaires sérieuses, à des questions subtiles et de pure ostentation, qui excitent presque toujours des difficultés vives et fatigantes. Il est dans les sciences de la nature (le terme grec est celui de « sciences physiques », mais il englobait toutes les sciences de la nature) tant de questions agréables et faciles à discuter; dans l'histoire, tant de traits intéressants qui peuvent fournir les sujets de conversation les plus utiles, dont l'objet, loin de rebuter est propre, suivant l'expression d'Homère, à adoucir les esprits. Aussi appelle-t-on agréablement ces exercices de l'esprit sur des sujets de poésie ou d'histoire, le dessert des gens de lettres. On peut encore faire des récits amusants ou conter des fables. Une conversation sur la lyre ou sur la flûte fait quelquefois plus de plaisir que le jeu même des instruments. Ces entretiens doivent être prolongés jusqu'à ce qu'on sente que les aliments ne fermentent plus, que la respiration devenue libre annonce qu'ils sont suffisamment élaborés, et que la digestion est faite.
Aristote croit que la promenade après le souper excite la chaleur naturelle, et que le sommeil qui le suit immédiatement l'étouffe. D'autres pensent au contraire que le repos aide la digestion et que le mouvement la trouble. Ces deux opinions, qui ont chacune leurs partisans, peuvent être, ce me semble, conciliées, si, comme on vient de le dire, en tenant, après le souper, le corps tranquille, on aiguise légèrement l'esprit, avant que de le livrer au repos, par des entretiens agréables, qui ne puissent ni l'irriter ni l'appesantir.[…]. »
(1) Les anciens avaient, pour la table, des usages un peu tyranniques, qui forçaient de boire au gré de celui qui avait été élu roi du festin; et malheur aux convives sobres quand le sort était tombé sur un homme intempérant. Cet usage, au reste, n'était pas suivi partout, et nous voyons qu'Horace s'en était affranchi dans sa maison de campagne, où chacun, dit-il, buvait à sa soif, sans dépendre de ces lois qu'il traite.
(2) Mot à mot: Laissons une place à la viande, à la pâtisserie et même à l'ivresse.
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