Que nous dit la crise sanitaire que nous vivons ? Que notre humanité est bien fragile, qu’elle doit méditer sur les épreuves passées et apprendre à relier le fantasme de puissance à la sagesse et la science à la spiritualité, nous rappelle l’écrivain soufi Faouzi Skali.
Une situation inédite ? Sans doute, rapportée à notre mémoire la plus récente. Il y a un siècle, la grippe espagnole semait le désarroi avec la dévastation que l'on sait. Quelques centaines d’années plus tôt, la peste noire dépeuplait de la façon la plus tragique pays et continents.
De ce point de vue, on peut considérer que l’histoire du monde a été ponctuée, tout du long, par de telles épreuves qui ont toujours un sens symbolique, existentiel, et auxquelles on a cherché à répondre par les connaissances, les ignorances et les superstitions propres à chaque époque.
Il a été largement souligné que nous avons, depuis quelques siècles, abandonné les ères de l'ignorance et des superstitions pour entrer dans les lumières de la raison. Le monde moderne se définit lui-même, précisément, par une entrée dans l'ère de la rationalité pure, et par sa capacité à se prémunir de telles invasions.
Se méfier de la puissance
Et c'est bien pour cela que la situation que nous vivons actuellement était autant imprévue qu'imprévisible. Dans son discours du 16 mars dernier, le président Macron soulignait que « ce qui était impensable est advenu ! ». Le virus, en plus d'être couronné, s'est introduit à pas feutrés dans nos espaces quotidiens et nos consciences pour prendre progressivement le contrôle de notre planète et de notre actualité.
Dans chaque crise majeure, la question du sens surgit avec force.
Dans chaque crise majeure, la question du sens surgit avec force. Même si, une fois le pic de la vague franchi, on revient le plus souvent avec précipitation à nos habitudes passées. Or, que nous dit cette crise ? Que notre humanité est bien fragile – et c'est d'ailleurs bien pour cela qu'il faut en prendre soin – et que ces prétentions à la puissance, systématiquement démenties aussi par le passé, sont dangereuses pour notre humanité et notre santé.
Rappelons-nous ici le récit biblique de la tour de Babel et la prétention du roi Nimrod à défier Dieu lui-même en construisant une tour qui monte jusqu'au ciel. Quelle était, à cette époque, l'arme de cette puissance ? Le fait que les hommes parlaient la même langue – ce que l'on peut aussi lire comme une parabole de notre mondialisation. Il est tout à fait remarquable que Nimrod, dans l'aveuglement de ce sentiment de toute-puissance à la fois personnel et collectif, ait été éprouvé par Dieu de la façon suivante : l'Éternel lui envoie ce qui est décrit comme un minuscule moustique (à l'époque le mot « virus » n'était pas en usage) qui pénètre par le nez de Nimrod. L’insecte lui cause un dérangement et un bourdonnement intérieurs tels que le roi se jette littéralement contre les murs. La toute-puissance se retrouvait à la merci d'un moustique !
Les autres arguments que le prophète Abraham tente d'opposer à l' hubris de Nimrod ne semblent avoir que peu d'effets. Un passage coranique rapporte l’entretien suivant. « Dieu, lui dit Abraham , est celui qui donne la vie et la mort. » « Moi aussi, je peux faire de même », répond Nimrod, faisant allusion, selon certains commentateurs, au fait qu'il peut décider de gracier un condamné à mort et de donner l'ordre de tuer qui il lui plaît parmi ses sujets. « Dieu, dit alors le prophète, est celui qui fait venir le soleil de l'Orient ; fais-le donc venir de l'Occident ?! » « Celui qui n'a pas cru fut alors confondu ! ... » (Coran 2, 259).
Le monde que nous voulons léguer à nos enfants est celui de l'élévation de notre conscience et non pas celui d'une puissance livrée à quelques apprentis sorciers qui se sont dévolu le rôle de maîtres de la technofinance mondialisée.
À propos de la vie et de la mort, il y a à peine quelques mois, le discours prédominant annonçait que ce programme était désormais entre les mains de notre humanité triomphante. Grâce à l'intelligence artificielle, et sans doute au programme Calico de Google, l'immortalité transhumaniste était à notre portée, sinon à celle des toutes prochaines générations. Pour prétendre changer l'ordre du cosmos, c'est sans doute un peu plus compliqué !
Conserver l’émerveillement
La novlangue technologique de la mondialisation semble, de fait, avoir choisi pour nous ce que doivent être notre futur et notre type d'humanité. Un futur que beaucoup appréhendent, mais que l'on semble accepter comme une fatalité. C'est la marche irrépressible, pense-t-on, de la science. Nous n'avons pas le choix !
Plusieurs voix de sagesse, comme celle d'Abraham jadis, s’élèvent aujourd'hui pour dire qu'un tel choix n'est que le résultat, non pas de la science ou de la raison, mais d'une illusion idéologique. Que le monde que nous voulons léguer à nos enfants est celui de la quête du sens, de l'élévation de notre conscience et non pas celui d'une puissance livrée à elle-même et à quelques Nimrod, apprentis sorciers en herbe, qui se sont dévolu le rôle de maîtres de la technofinance mondialisée.
À l'avenir, le monde ne sera pas dépourvu de virus toujours plus subtils, toujours plus malins, qui viendront nous rappeler que nous faisons fausse route. La science nous apprend aujourd'hui qu'il a fallu près de 13,7 milliards d'années et une précision mathématique à toute épreuve pour créer notre humanité et la doter de la chose la plus précieuse : sa capacité à prendre conscience d'elle-même et à s'émerveiller de ce miracle permanent, d'en sonder le sens et en découvrir l'harmonie.
C'est cette même vision que l'on trouve au cœur des grands enseignements de sagesse. Cette finalité fonde notre dignité humaine et trace notre voie : un approfondissement par la sagesse, l'art, la science ou toute autre forme d'activité, de cette conscience humaine qui est aussi une connaissance de nous-mêmes. On pense ici à l'injonction à la sagesse inscrite sur le fronton du temple d'Apollon.
Il nous faut rechercher aujourd'hui une autre verticalité que celle de nouvelles tours de Babel, réelles ou mythiques : une verticalité humaine.
Les Abraham de notre époque peuvent attirer l'attention sur notre petitesse humaine face à cette aventure cosmique qui nous fait découvrir chaque jour, dans une expansion vertigineuse, de nouveaux paquets de milliards de galaxies.
S'inspirer de notre diversité
Devant de telles crises que celle que nous traversons, nous devons lever nos yeux vers le ciel, mais aussi les tourner vers notre intériorité ! Nous devons aussi savoir que face aux virus (technologiques, naturels ou les deux à la fois, qui se feront de plus en plus redoutables et inattendus), les écologies, naturelle et humaine, nous enseignent ce même principe : celui de savoir cultiver comme une richesse la diversité de nos langues, de nos cultures et la variété de la nature qui, en ce domaine, doit être notre maître et nous inspirer. En outre, nous devons comprendre que nous sommes certes divers, mais aussi interdépendants et qu'une manière de gérer notre monde est de construire et renforcer sans cesse des liens de solidarité.
Il nous faut rechercher aujourd'hui une autre verticalité que celle de nouvelles tours de Babel, réelles ou mythiques : une verticalité humaine. Celle par laquelle notre humanité peut réapprendre à relier la puissance à la sagesse et la science à la spiritualité. Il en va de la survie de notre humanité, dans tous les sens du terme. Nous devons comprendre ces récits des textes sacrés comme des archétypes livrés à nos réflexions et méditations.
Nimrod est le symbole d'une puissance illusoire, dénuée de sagesse ; « l'Abraham de notre être » est la possibilité de dépasser cet aveuglement et de laisser naître en nous une nouvelle conscience et une autre conception du développement de notre humanité.
C'est cet enseignement qui nous est donné d'une manière foudroyante par ce moustique, bien minuscule, de notre temps. Sommes-nous prêts à l'entendre ?
Faouzi Skali est anthropologue et écrivain et l’un des plus grands spécialistes mondiaux du soufisme. Il a notamment publiéLa Voie soufie (Albin Michel, 1993),Moïse dans la tradition soufie (Albin Michel, 2011), Jésus dans la tradition soufie (Albin Michel, 2013).
Comme pour le Sras en 2016, le Covid-19 trouve son origine dans les « marchés humides » chinois, où des animaux sont parqués vivants et abattus à la demande dans des conditions sanitaires déplorables. Figures de la cause animale, Peter Singer et Paola Cavalieri appellent à l’interdiction de ces pratiques, en Chine et dans le monde.
Nous avons tous vu des images apocalyptiques de la ville chinoise de Wuhan, épicentre du Covid-19. Le monde entier retient son souffle face à la propagation de ce nouveau coronavirus, tandis que nos gouvernements prennent des mesures drastiques qui sacrifieront fatalement les droits et libertés individuelles pour le bien commun.
Certains s’indignent du manque de transparence de la Chine au début de l’épidémie. Le philosophe Slavoj Žižek, lui, dénonce la « paranoïa raciste » qui alimente l’obsession à l’égard du Covid-19, alors qu’il existe d’autres maladies infectieuses bien plus graves qui font chaque jour des milliers de victimes. Les amateurs de théories du complot prétendent quant à eux que ce virus serait une arme biologique dirigée contre l’économie chinoise. Mais rares sont ceux qui s’interrogent sur la véritable cause de l’épidémie.
Tout comme le Sras (syndrome respiratoire aigu sévère) en 2003, l’épidémie actuelle trouve ses origines dans les wet markets (« marchés humides ») chinois, ces marchés en plein air où des animaux sont achetés vivants et abattus à la demande. Jusqu’à la fin du mois de décembre 2019, les individus contaminés par le virus avaient un lien avec le marché de Huanan, à Wuhan.
Les wet markets chinois proposent différentes espèces animales destinées à la consommation : louveteaux, serpents, tortues, hamsters, rats, loutres, blaireaux, civettes. Des marchés similaires se retrouvent dans plusieurs pays asiatiques, dont le Japon, le Vietnam et les Philippines.
Les wet markets des régions tropicales et subtropicales vendent des mammifères, de la volaille, des poissons et des reptiles vivants, entassés les uns sur les autres, mêlant leur souffle, leur sang et leurs excréments. Voici la description qu’en faisait récemment le journaliste américain Jason Beaubien, de la National Public Radio (la radio publique américaine) : « Des poissons s’agitent dans des bacs ouverts, éclaboussant le sol. Les étals dégoulinent de sang, tandis que le poisson est vidé puis découpé sous les yeux des clients. Tortues et crustacés grimpent les uns sur les autres dans des cageots. La glace fondue se mêle à la boue. Il y a beaucoup d’eau, beaucoup de sang, d’écailles et de boyaux. » D’où l’appellation de wet markets, « marchés humides ».
« Une telle promiscuité animale et humaine génère un environnement malsain, très certainement responsable de la mutation qui a permis au Covid-19 de se propager dans l’espèce humaine »
Peter Singer et Paola Cavalieri
D’après les scientifiques, une telle promiscuité animale et humaine génère un environnement particulièrement malsain, très certainement responsable de la mutation qui a permis au Covid-19 de se propager dans l’espèce humaine. Plus précisément, dans un tel environnement, le coronavirus dont certains animaux étaient porteurs a subi une mutation rapide, car, en se transmettant d’un hôte animal à un hôte humain, il a acquis la capacité de se fixer sur les récepteurs de cellules humaines.
Face à ce constat, la Chine a annoncé le 26 janvier dernier une interdiction temporaire du commerce d’animaux sauvages. Ce n’est pas la première fois qu’une telle mesure est introduite en réponse à une épidémie. En 2003 déjà, la crise du Sras avait amené la Chine à interdire l’élevage, le transport et la vente de civettes et autres animaux sauvages – interdiction qui avait été levée au terme de six mois.
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui appellent à une interdiction définitive des « marchés d’animaux sauvages ». Zhou Jinfeng, secrétaire général de la Fondation pour la conservation de la biodiversité et le développement vert de la Chine, souhaite que le « trafic illégal d’espèces sauvages » soit interdit de manière permanente. Il a d’ailleurs annoncé que l’Assemblée nationale populaire (l’une des plus hautes instances dirigeantes du pays) envisageait un projet de loi qui mettrait un terme au commerce des espèces protégées. Se focaliser sur les espèces protégées est cependant un subterfuge destiné à détourner l’attention du public des conditions de vie et de mort abominables qui sont imposées à l’ensemble des animaux mis en vente dans les wet markets. Ce qu’il faut, c’est une abolition définitive des wet markets.
Pour les animaux, les wet markets sont un véritable enfer. Des milliers de créatures sensibles et palpitantes subissent des heures de souffrances et d’angoisses avant d’être brutalement massacrées. Et il ne s’agit là que d’une infime partie des traitements que les humains infligent systématiquement aux animaux dans tous les pays : dans les fermes industrielles, dans les laboratoires aussi bien que dans l’industrie du divertissement.
Si tant est que nous prenons la peine de réfléchir à nos actes, nous nous empressons de les justifier au nom de la supériorité de notre espèce, de même que les Blancs invoquaient leur prétendue supériorité pour justifier l’asservissement des races dites « inférieures ». Or, à l’heure où les intérêts vitaux des humains rejoignent très clairement ceux des animaux, cette petite partie des souffrances que nous infligeons aux animaux nous offre l’opportunité de modifier notre attitude envers les membres des espèces non humaines.
Une abolition des wet markets suppose que l’on surmonte certaines pratiques culturelles spécifiques, ainsi que les résistances liées au préjudice économique que subiraient ceux qui gagnent leur vie grâce à ces marchés. Mais même sans aller jusqu’à accorder aux animaux non humains la considération morale qu’ils méritent, ces préoccupations locales ne devraient pas peser lourd comparé à l’impact catastrophique qu’auront des épidémies mondiales (voire des pandémies) de plus en plus fréquentes.
Martin Williams, spécialiste de l’environnement établi à Hong Kong, le dit très bien : « Tant que ces marchés se maintiendront, il y aura un risque de voir apparaître de nouvelles maladies. Il est grand temps que la Chine ferme ces marchés. Cela lui permettrait à la fois de faire des progrès en matière de droits des animaux et de conservation de la nature, et de réduire les probabilités qu’une maladie made in China se propage dans le monde entier. »
Nous proposons d’aller plus loin encore. Au cours de l’histoire, des événements tragiques ont parfois conduit à des réformes majeures. Les marchés de vente et d’abattage d’animaux vivants devraient être interdits non seulement en Chine mais partout dans le monde.
Philosophe australien, professeur à la prestigieuse université Princeton (États-Unis), il est la grande voix de la cause animale. Spécialiste d’éthique, il défend des positions utilitaristes. Il a notamment fait paraître La Libération animale (1975 ; trad. fr. Grasset, 1993) et L’Altruisme efficace (2015 ; Les Arènes, 2018).
Journaliste et philosophe, directrice de la revue italienne Etica & Animali, elle est l’initiatrice, aux côtés de Peter Singer, du Great Ape Project (« projet grands singes ») qui milite en faveur de l’extension des droits de l’homme aux chimpanzés, gorilles et orangs-outans. Elle a notamment signé (avec Peter Singer) Le Projet Grands Singes. L’égalité au-delà de l’humanité (1993 ; trad. fr. One Voice, 2003).
Tout aurait commencé par une histoire de bête(s) : d’abord une chauve-souris, puis un pangolin, consommé en tant que mets en Asie et qui aurait joué le rôle d’hôte intermédiaire dans la contamination du Covid-19 vers l’homme. D’après ce scénario souvent retenu, le coronavirus relèverait donc de ce que l’on appelle une « zoonose », une maladie d’origine animale se transmettant à l’homme. Le terme, issu du grec zôion, « animal », et nósos, « maladie », a été forgé au XIXe siècle par le médecin allemand Rudolf Virchow (1821-1902). Plusieurs zoonoses ont donné lieu à des épidémies ces dernières années (Sras, maladie à virus Ebola…). Si ce type de maladie a stimulé la recherche scientifique quant à ses facteurs – il semblerait que l’élevage intensif favorise leur apparition –, elle soulève aussi des enjeux philosophiques. Les zoonoses remettent en question l’idée d’une différence de nature entre hommes et animaux – entre « eux » et « nous », il y a plutôt continuité et même hybridation. En 2001, réagissant dans un article à la crise de la vache folle, Claude Lévi-Strauss pointait « la solidarité première entre toutes les formes de vie ». Même si c’est d’une façon « négative », les zoonoses attestent d’une telle communauté des êtres sensibles.
Cofondateur de The Philosopher’sMagazine, Julian Baggini contribue à un grand nombre de journaux, magazines et intervient régulièrement sur la BBC. Il est l’auteur de nombreux livres de philosophie à destination du grand public, non traduits en français.
Mis en ligne le 22/04/2019 | Mis à jour le 22/04/2019
Les prochaines élections européennes risquent d’aboutir à un paradoxe : un Parlement européen où siégeront de nombreux députés anti-européens. Mais est-ce si nouveau ? Qu’on remonte aux dialogues de Platon ou aux sceptiques de l’Antiquité, l’esprit européen s’est toujours caractérisé par un art étonnant d’entretenir la contradiction.
Avec vingt-huit pays membres et un produit intérieur brut de 15 330 milliards d’euros, l’Union européenne (UE) était en 2017 la deuxième puissance économique mondiale, derrière les États-Unis certes, mais loin devant la Chine (respectivement 17 128 et 10 800 milliards d’euros). À ce chiffre flatteur s’ajoutent de multiples signes extérieurs de richesse : si l’on ouvre un robinet où que ce soit en Europe, c’est de l’eau potable qui coule ; le niveau d’éducation moyen des Européens est élevé et, selon les derniers classements Pisa mesurant la compréhension de l’écrit ou la culture scientifique des élèves, les membres de l’UE sont tous dans les cinquante premières places sur cent-vingt pays environ ; le patrimoine architectural et immobilier des villes ou même des villages européens est considérable ; le nombre de musées, d’opéras, de salles de concert donne le tournis ; les gouvernements sont élus, la liberté de la presse est garantie, la torture et la peine de mort sont interdites ; les statistiques des morts par balle, des homicides sont parmi les plus basses de la planète ; les systèmes de santé et l’espérance de vie comptent parmi les plus favorables – un Espagnol vivant en moyenne quatre années de plus qu’un Américain et six années de plus qu’un Chinois, pour ne prendre qu’un exemple… Admettons que vous ayez, avant de naître, la possibilité de choisir non pas votre milieu social, mais l’un des cinq continents : sur lequel préféreriez-vous voir le jour ? Réfléchissez bien, car il semble que le Vieux Monde, si décrié, si convaincu soit-il de son propre déclin, ne soit pas une mauvaise option.
Devant un tel tableau, il y aurait de quoi éprouver une bouffée de fierté – chaque Européen pourrait se sentir partie prenante d’une grande civilisation, d’une aventure collective couronnée de succès ! Après tout, les Américains ressassent à l’envi leur grand roman national, ils s’enorgueillissent de vivre dans la nation de la liberté et des possibles, même si c’est là en partie une construction fantasmatique ; et en Chine, la synthèse du néoconfucianisme est devenue l’arme spirituelle de la course à l’enrichissement matériel. Toutes les grandes puissances carburent à l’autocongratulation, à la méthode Coué, à l’idéologie nationaliste ; leur volontarisme est alimenté par des valeurs naïves, mais partagées. Et en Europe ? Rien de tel. Le climat est à la déploration, au désamour. Il faut dire que deux guerres mondiales sont passés par là et ont eu raison de l’optimisme conquérant – et la construction européenne, pensée comme une entreprise de conjuration de la guerre, ne suscite guère d’enthousiasme. D’après les sondages, une très courte majorité de Français considère que l’appartenance à l’UE est une bonne chose, et seuls 44 % des Italiens s’y maintiendraient en cas de référendum. Les Britanniques ont fait le choix du Brexit en juin 2016. La critique de Bruxelles et de sa technocratie est un leitmotiv des mouvements populistes de droite comme de gauche ; l’aspiration au Frexit revient dans les déclarations des « gilets jaunes ». Les prochaines élections européennes risquent fort de déboucher sur un paradoxe, avec un Parlement européen où siégeront de nombreux députés anti-européens – les populistes de droite représentant environ 30 % des intentions de vote dans la plupart des pays.
Pourquoi ce désaveu ? Tout se passe comme si l’UE apparaissait aux peuples du Vieux Continent comme un projet évidé, un dispositif administratif et réglementaire, un centre d’influence pour les élites, un puissant levier d’action pour les divers lobbys, mais pas comme une force authentiquement politique. Non seulement la construction européenne n’a qu’une faible légitimité démocratique, mais elle souffre d’un déficit symbolique. Le drapeau européen ne fait pas vibrer les cœurs et a une histoire cocasse – il a été dessiné par Arsène Heitz, un peintre du dimanche employé au service courrier du Conseil de l’Europe à Strasbourg, qui aurait fait le dessin des douze étoiles en s’inspirant de la médaille miraculeuse de la Vierge Marie, afin de faire plaisir à sa mère. Peu d’Européens savent que l’Ode à la joie de Ludwig von Beethoven est l’hymne de l’Union. Et les billets de vingt, cinquante ou cent euros ne mettent pas à l’honneur des génies comme Platon, Einstein, Léonard de Vinci ou Mozart, mais des fragments d’architecture, des schémas techniques qui n’émeuvent guère que les ingénieurs. Que manque-t-il à l’UE ? Non pas une organisation, des institutions ni des lois – mais une raison de se maintenir en temps de paix. Non pas la bureaucratie, mais l’esprit.
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Le rêve d’Edmund Husserl
Dans une conférence prononcée à Vienne (Autriche), à un moment critique de l’entre-deux-guerres, en 1935, le philosophe allemand Edmund Husserl s’est interrogé sur l’esprit européen, et plus encore sur la finalité profonde, sur le but spirituel, le télos, vers lequel il serait tendu. Les communautés humaines, explique-t-il dans cette allocution, ne vivent pas simplement dans le monde naturel, dans des écosystèmes dirait-on aujourd’hui, mais plutôt dans leur propre « monde ambiant », dans un ensemble de représentations et de valeurs qu’elles sécrètent et qui les enveloppent. « Le monde ambiant est une formation spirituelle en nous et dans notre vie historique. » Mais quelles sont alors les spécificités du monde ambiant des Européens ? Husserl avance une hypothèse : « L’Europe spirituelle possède un lieu de naissance. Je n’entends pas par là qu’elle le possède géographiquement dans un pays donné, bien que cela aussi soit juste, mais j’entends un lieu de naissance spirituel. C’est la nation grecque ancienne au VIIe et au VIesiècles avant Jésus-Christ. C’est en elle que se développe une nouvelle sorte d’attitude. » Les Grecs auraient, en effet, pour la première fois formé le projet de constituer « une science universelle, science du tout du monde, de l’uni-totalité de tout l’étant. Très tôt l’intérêt pour le tout, et du même coup la question du devenir et de l’être-en-devenir omni-englobant commence à se subdiviser suivant les formes et les régions générales de l’être, et c’est ainsi que la philosophie, la science unique, se ramifie en une diversité de sciences subordonnées ». L’humanité européenne se déploie historiquement, selon Husserl, avec l’ambition de saisir par la pensée le tout du monde. Bien sûr, il y avait également une science en Chine, en Inde, mais « c’est seulement chez les Grecs que nous trouvons un intérêt vital universel (“cosmologique”) ».
« L’Europe a plié le monde à sa logique, tant il est vrai que la raison n’est pas qu’un instrument de recherche de la vérité mais aussi de domination »
« C’est une chose facile que de se faire universel » : la formule, due à Léonard de Vinci, condense avec humour et insolence l’esprit européen tel que le définit Husserl. C’est ce qui fait sa grandeur – mais aussi son caractère résolument dangereux, car du désir d’absorber le tout intellectuellement aux menées impérialistes réelles, à la tentation d’hégémonie concrète, il n’y a qu’un pas. La ligne menant à la réalisation du téloseuropéen est donc bordée de clarté et de ténèbres. Du côté clair : l’Europe est le berceau des universités, des bibliothèques, de l’industrie horlogère et de la construction sociale du temps (c’est le partage de la journée en vingt-quatre heures, elles-mêmes divisées en soixante minutes, hérité de l’Égypte et de la Mésopotamie, qui scande les existences humaines sur tout le globe), des mathématiques modernes, de la découverte du système solaire et de la loi de la gravitation universelle, du projet des Lumières d’appeler chaque être humain à s’émanciper de toute tutelle et à raisonner par lui-même, de la Déclaration universelle des droits de l’homme, du système métrique et du suffrage universel. Du côté sombre : l’Europe a plié le monde à sa logique, tant il est vrai que la raison n’est pas seulement un instrument de recherche de la vérité mais aussi de domination ; et les crimes et les spoliations dont elle s’est rendue responsable sont terribles, comme le montrent la traite des Noirs, les phases d’expansion coloniale qui ont abouti au génocide des Amérindiens et des Aborigènes, à la vassalisation du Maghreb, du Proche-Orient, de l’Inde, de l’Afrique subsaharienne, de nombreuses îles d’Océanie. Au cours de sa conférence, Edmund Husserl, lui-même d’origine juive mais converti au protestantisme, légitimement inquiet devant la montée du nazisme auquel il souhaite opposer les ressources de la philosophie, a une incise troublante : il exclut de la « figure spirituelle de l’Europe », au détour d’une petite phrase, « les Esquimos ou les Indiens des ménageries foraines et les Tziganes qui vagabondent perpétuellement ». Cette exclusion est révélatrice. L’esprit européen fait mauvais accueil à ceux qui se démarquent de son universalisme, qui revendiquent une différence, comme c’est le cas des nomades, des communautés en général et des Juifs en particulier.
Qu’est-ce que l’Aufklärung, les Lumières ? demande Kant dans un opuscule de 1784. « Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. » Cette devise simple émancipe celui qui s’y conforme tout à la fois de la tradition, des dogmes inlassablement répétés par les autorités religieuses, de l’opinion du Roi ou de ses supérieurs directs. Elle invite à raisonner par soi-même, ce qui est à la fois simple et courageux. « Pour ces Lumières il n’est rien requis d’autre que la liberté ; et la plus inoffensive parmi tout ce qu’on nomme liberté, à savoir celle de faire un usage public de sa raison sous tous les rapports. » Or la réplique à cet appel ne sera pas seulement conservatrice ni réactionnaire ; elle prendra aussi la forme d’un sursaut, de la volonté de ne pas couper l’homme de l’effusion des sentiments, de sa part d’obscurité. En 1800, avec ses Hymnes à la nuit, le poète romantique Novalis répond à l’idéal des Lumières : « Vers le bas je me tourne, vers la sainte, l’ineffable, la mystérieuse Nuit. Le monde est loin – sombré en un profond tombeau – déserte et solitaire est sa place. Dans les fibres de mon cœur souffle une profonde nostalgie. Je veux tomber en gouttes de rosée et me mêler à la cendre. » En un sens, le romantisme n’est pas seulement la négation des Lumières mais son élargissement : la liberté qu’il réclame est autant rationnelle que passionnelle, car l’on ne saurait devenir un sujet humain intégral sans dialoguer avec ses propres ténèbres intérieures, avec l’angoisse de la mort (la cendre) et la légèreté du désir (la rosée).
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La communauté juive est partie prenante de l’histoire européenne depuis l’Antiquité. Cependant, elle n’a eu de cesse de subir des critiques, voire une forme de haine bien particulière et distincte du racisme. Au Moyen Âge, les Juifs représentent le peuple déicide, ennemi de l’universalisme chrétien, et sont victimes de pogroms et de condamnations au bûcher. A partir du XIXe siècle, l’antisémitisme se divise en deux courants différents : à gauche, du côté républicain ou socialiste, il est reproché à la communauté juive de maintenir sa différence à l’intérieur de la nation, mais aussi d’avoir des accointances supposées avec le commerce et la finance ; à droite, se développe notamment à partir des livres de propagande d’Houston Stewart Chamberlain une théorie biologique opposant la race supérieure, indo-européenne ou encore « aryenne », à ladite « race juive », thématique qui alimentera directement Mein Kampf et la Solution finale… Si l’Européen a du mal à composer avec la différence sur son sol, il soumet ou méprise souvent le Non-Européen, l’étranger – les Grecs appelaient déjà « barbares » ceux qui ne parlaient pas leur langue. Ainsi, aujourd’hui, non seulement l’antisémitisme n’a pas disparu, il n’a pas été balayé par le travail de mémoire comme il aurait dû l’être, mais les flux migratoires continuent de représenter une préoccupation centrale pour la plupart des Européens. Jaloux de leur universel, ils ne savent pas composer avec la différence.
Un grand récit trop simpliste
En 2019, l’UE apparaît donc comme un gigantesque dispositif, une technocratie privée de destination, de but spirituel.Comment lui en retrouver un ? Faudrait-il renouer avec le vieux télos husserlien, réaffirmer que le projet de l’Europe devrait être la constitution d’une science omni-englobante, ou encore la saisie du tout du monde ? Non, nous sommes revenus d’une telle aspiration : non seulement nous voyons derrière nous les crimes abominables qu’elle a indirectement légitimés, mais nous sommes aussi devenus trop lucides, ou trop relativistes, pour adhérer encore à un tel dessein. Même si l’intention évidente de Husserl était de sauver la raison avant le déferlement de la brutalité nazie qu’il pressentait, son grand récit est trop linéaire, trop simpliste pour nous. Nous savons que nous ne sommes pas les héritiers en ligne directe de la science grecque et que le corpus aristotélicien a transité par Bagdad avant de nous revenir au Moyen Âge, par l’Andalousie. L’histoire que raconte Husserl est elle-même trop schématique ; si l’on y regarde de plus près, qu’il s’agisse des échanges incessants avec l’Afrique du Nord et le Proche-Orient sur les voies maritimes de la Méditerranée, des contacts avec la culture orthodoxe et les territoires slaves, ou encore du dialogue entre l’Ancien et le Nouveau Monde qui débute dès 1492, l’Europe s’est inscrite dans un faisceau, un buisson d’influences, et l’axe qui mène de l’Attique à l’Allemagne n’est même pas le plus fréquenté.
Curieusement, les principes fondamentaux du libéralisme économique ne sont posés par aucun auteur en particulier, ils découlent plutôt d’une modélisation abstraite des mécanismes du marché qui est en germe dans les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776) d’Adam Smith et qui ne trouve sa formulation mathématique aboutie que bien plus tard, avec les Principes d’économie politique (1890) d’Alfred Marshall, en agrégeant des contributions éparses d’économistes comme David Ricardo ou Jean-Baptiste Say. Mais, à la fin, tout tient en un schéma simple : un marché se laisse représenter par deux courbes, celle de l’offre (les producteurs) et celle de la demande (les acheteurs). Ces courbes se croisent, en l’absence de toute régulation par l’État (c’est le fameux « laisser-faire »), en un point d’équilibre qui fixe un prix p. Ainsi, s’il y a peu de diamants et beaucoup de personnes qui en désirent, leur prix deviendra fabuleux – quand bien même ils sont inutiles. Et si, au contraire, tout le monde cherche à vendre son appartement dans une ville sinistrée par la fermeture d’une usine, la valeur de l’immobilier y sera anéantie. Ce qui est fascinant, c’est ce que ce schéma laisse hors de toute considération : c’est-à-dire la réalité des rapports sociaux, du travail et de la domination. Or, en repartant de la lecture serrée d’Adam Smith et de David Ricardo, c’est cet impensé que Karl Marx va chercher à débusquer. Là où le modèle du marché cher aux libéraux est platonicien, idéaliste, indifférent au quotidien de la production, à la sueur et aux injustices, Marx décrit les conditions de travail effectives dans le monde ouvrier : « Il est notoire que l’excès de travail moissonne les raffineurs de Londres, et néanmoins le marché du travail à Londres regorge constamment de candidats pour la raffinerie, allemands la plupart, voués à une mort prématurée. La poterie est également une des branches d’industrie qui fait le plus de victimes » (Le Capital, livre I, 1872). Dans le même chapitre, il documente et dénonce le travail des enfants, souvent mortel. Ainsi, le coup de force de Karl Marx est de faire rentrer le concret, la matière, dans les équations du libéralisme, en s’intéressant à la manière dont le prix p est réparti entre le patron et l’ouvrier – ce partage inégal donnant la mesure de l’exploitation. Au cœur de la tension entre libéralisme et marxisme en économie se rejoue donc l’un des plus anciens dualismes européens : entre le haut et le bas, l’abstrait et le concret, l’idéal et la matière, ou encore entre l’élite et le peuple.
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C’est désormais un autre aspect de notre « figure spirituelle » qui pourrait nous apparaître avec davantage d’évidence : aujourd’hui, nous savons que l’Europe est la civilisation de la contradiction. L’esprit européen est résolument critique, et c’est d’ailleurs ce qui nous manque quand nous voyageons ailleurs. Si les vérités mises au jour par la science grecque sont remarquables, les dialogues de Platon méritent également d’être lus comme la théâtralisation, poussée à son degré le plus aigu, de la coexistence de visions du monde incompatibles entre elles. Socrate est celui qui objecte, qui n’est jamais fatigué de relancer par la question ses interlocuteurs, de les déstabiliser. C’est un maître en ironie (du grec eironia,« action d’interroger »). Au-delà de son cas particulier, la joute oratoire, l’entretien dialectique étaient le sport intellectuel favori des Grecs. Avec une telle clé de lecture, l’histoire philosophique de l’Europe se décale, acquiert une autre forme de cohérence. Le but dès le départ est peut-être moins de saisir le tout que de tout contester. Les origines de la philosophie nous renvoient, et c’est significatif, à une discorde initiale entre Parménide, le penseur de l’être, et Héraclite, le penseur du devenir. Mais cette tension se redouble aussitôt, par une opposition entre Athènes et Jérusalem, entre la science grecque et le cycle des prophéties qui débute avec l’Ancien Testament et se poursuit dans le Nouveau.
« Chacun sait aujourd’hui que c’est un signe éminent de culture que de pouvoir supporter la contradiction, écrit Friedrich Nietzsche dans Le Gai Savoir. Quelques-uns même savent que l’homme supérieur désire et provoque la contradiction afin d’en obtenir un signe relatif à sa propre injustice, ignorée de lui-même jusqu’alors. » En faisant cet éloge de la capacité à supporter le débat intérieur, le déchirement, il renoue ici avec la grande hypothèse de travail des sceptiques de la période hellénistique, telle qu’elle était exprimée par Sextus Empiricus, un penseur qui vécut à Alexandrie aux IIe et IIIe siècles de notre ère et inspira, entre autres, Montaigne et les humanistes : sur toute question qui se présente à nous, il est possible, soutient Sextus Empiricus, d’échafauder deux argumentations antagonistes d’égale puissance, ce qu’il appelle l’isosthénie (ou la force égale) des arguments contraires. Cette hypothèse un peu folle, qui sape jusqu’aux fondements de toute prétention à la détention de la vérité, est comme l’inspiration cachée et constante du Vieux Continent.
Le continent des schismes
De fait, l’Europe, chaque fois qu’elle a produit une théorie, un paradigme, un système ou une idéologie à vocation universelle, a mis au point aussitôt le contrepoison et l’a diffusé : ainsi l’âge classique dialogue-t-il avec l’exubérance baroque ; le siècle des Lumières et son rationalisme le cèdent rapidement à la génération romantique et à son éloge du sentiment ; à peine les pères fondateurs de l’économie politique ont-ils théorisé le libéralisme qu’apparaissent le socialisme et la critique marxiste ; quand le positivisme triomphe dans les sciences, Einstein forge la théorie de la relativité et les géométries non-euclidiennes se développent. L’Europe est le continent des schismes. Loin d’être un accident, une péripétie anecdotique, la crise politique actuelle et la perspective aberrante de se retrouver avec un Parlement européen où siègent des députés anti-européens n’est peut-être qu’un nouvel avatar de cet esprit de perpétuelle autocontradiction. Et si c’était aussi le gage d’une certaine vitalité ?
« Et si l’esprit européen consistait à maintenir toujours ouverte la possibilité d’un jeu au cœur de la construction ? Et si le négatif permettait encore d’aller de l’avant ? »
Les grandes puissances sont menacées par l’excès d’affirmation, par la pétrification des idéologies dont elles ont besoin pour se soutenir – c’est ainsi que l’autoritarisme prospère aujourd’hui dans la Chine de Xi Jinping, dans l’Inde de Narendra Modi, dans la Russie de Vladimir Poutine, dans la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan, dans le Brésil de Jair Bolsonaro, et que la politique américaine est minée par le trumpisme. Et si l’esprit européen consistait à maintenir toujours ouverte la possibilité d’un jeu au cœur de la construction ? Et si le négatif permettait encore d’aller de l’avant ? Supporter la contradiction, cela pourrait consister pour l’Europe, dans le monde actuel, à imaginer une politique économique et agricole qui intègre la préoccupation écologique, à poursuivre l’aventure technologique sans renoncer aux humanités, à affirmer contre le consumérisme le goût de l’art et de la gratuité, ou encore – parce que précisément ce régime suppose de maintenir un équilibre des forces antagonistes – à être le dernier continent au monde où l’on tienne encore à la démocratie.