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Par Christelle Bouley le 29 Avril 2020 à 12:28
Commentaire du professeur: Quelques fautes de syntaxe et d'orthographe demeurent. Les exemples sont pertinents et bien expliqués. Par contre, il aurait fallu davantage commencer la citation dans le corps du devoir, au fur et à mesure.
N.B: la copie a été corrigée après sa rédaction, notamment sur la syntaxe et l'orthographe.
2 commentaires -
Par Christelle Bouley le 13 Avril 2020 à 10:35
C'était le 4 février 1989. Au cours d'une randonnée dans le désert du Hoggar, Éric-Emmanuel Schmitt se perd, seul. Mais alors que, dans la nuit étoilée, il croit sa dernière heure venue, le jeune homme vit une expérience éblouissante. Une expérience mystique d'une fulgurance telle que l'événement est pour lui une seconde naissance. S'il avait déjà fait allusion à cet épisode, Éric-Emmanuel Schmitt consacre pour la première fois un livre, intime et touchant, à sa « Nuit de feu ». Cette nuit-là qui lui a donné foi et confiance dans la vie, tout en restant conscient des enjeux de notre temps.
Pourquoi avoir attendu si longtemps pour consacrer un livre à cette nuit mystique ?
Parce que j'en étais incapable ! Il fallait d'abord que cette source de foi rencontrée dans le désert devienne un fleuve. Que cette foi à laquelle je n'étais pas préparé trouve sa place en moi, s'empare de moi. C'est avec les années que cette révélation dans le désert s'est confirmée. En sortant du Sahara, je conservais le pouvoir de nier, d'interpréter différemment cette expérience. Ayant reçu une formation d'intellectuel athée, élève de Derrida, étudiant à Normale sup, je ne me reconnaissais pas dans cette nuit ; il m'aurait été plus simple de reprendre ma vie de rationaliste. Irrésistiblement pourtant, ce petit filet d'eau est devenu un fleuve, qui non seulement m'habite, mais, peut-être, me constitue. Un jour, j'ai compris que je devais témoigner. Mais je n'en vis longtemps que les difficultés : les mots se montrent inadéquats, inventés pour décrire le visible, pas l'invisible. Ce livre attendait ma maturité. Puisque le langage évoquant une nuit mystique ne peut être que métaphorique, je voulais affermir ma plume afin que la métaphore sonne juste.
Votre récit donne l'impression que vous vous êtes volontairement perdu, comme si vous pressentiez un rendez-vous avec le destin.
Je ne saurais mesurer la part de hasard, de volonté ou de destin... Peut-être avais-je en effet, au fond de moi, le pressentiment d'un rendez-vous ? Aujourd'hui, c'est la lecture que j'en fais : j'ai cherché à me perdre. Tout mon livre ne raconte que ça. N'importe quel récit mystique offre d'abord un récit de la perte. Il fallait, pour ma part, que je perde mon identité d'Occidental, d'intellectuel. Enfin, qu'il s'agisse de hasard, de volonté ou de destin, ce qui compte, à mes yeux, c'est de toujours garder en tête ces trois possibilités. J'ai écrit avec le souci de rester interrogatif. Je crois que ce que nous avons tous en commun, ce sont ces questions. Ce qu'on appelle l'humanité, c'est le partage des mêmes questions, voire le partage de l'ignorance. Et ce qui nous singularise, ce qui nous différencie ou nous oppose, ce sont les réponses. Il importe de toujours se remettre au niveau des questions. Là est la fraternité humaine, là est l'humanisme.
Vous dites que les mots ne peuvent décrire ce que vous avez vécu. Néanmoins, comment qualifieriez-vous cette expérience ?
Il y a plusieurs moments. Je décris une extase, le fait de passer au-dessus de soi, ce sentiment physique de quitter non seulement son corps, mais aussi la terre, d'arriver en apesanteur... À cette extase succède un deuxième moment où je sens une altérité qui m'environne, qui m'englobe, qui veut m'absorber : on pourrait appeler cela une confrontation avec l'Absolu. Ensuite, c'est la fusion, l'absorption totale dans l'Absolu. Puis je reviens. Mais, encore une fois, ce vocabulaire me paraît approximatif, puisque nous ne détenons pas les mots pour raconter cela. J'ai fait l'épreuve d'une transcendance qui était autant un phénomène extérieur qu'intérieur. Aujourd'hui, j'ai l'impression de pouvoir retrouver cet absolu au fond de moi par la méditation, la concentration ou la prière.
Vous affirmez avoir compris, après cette nuit, que tout a un sens.
Oui, c'est le message qui m'a été délivré. Je percevais soudain que, lorsque je ne comprends pas, c'est ma faute. Que le manque de sens réside dans mon esprit, non dans le monde. Je suis passé d'une philosophie de l'absurde à une philosophie du mystère : l'absurde est l'absence de sens ; le mystère la promesse de sens. Maintenant, quand je ne saisis pas quelque chose, j'accuse les limites de mon cerveau. J'accepte de ne pas comprendre, et je fais crédit lorsque je ne comprends pas. Voilà une définition de la foi ! Se tapit, dans la philosophie du XXe siècle, un orgueil démesuré, puisque l'homme s'y estime le seul créateur de sens, ou, comme disait Heidegger, « le gardien du sens ». Depuis ma révélation, j'habite différemment l'ignorance. Je l'habite non plus avec angoisse et arrogance, mais avec humilité et confiance. Ma foi m'offre d'appréhender le monde avec confiance.
De nombreuses personnes rêvent de vivre une telle expérience. Or, c'est arrivé à vous, qui ne demandiez rien...
Je n'étais pas du tout indifférent à la problématique de la foi - j'ai soutenu ma thèse sur Diderot et la métaphysique. J'avais travaillé ces questions, mais je croyais détenir la réponse : j'étais athée et je traversais la condition humaine avec angoisse. Je pensais demeurer ainsi jusqu'à la fin de mes jours. Cependant, cet athéisme avait été fortement interrogé à la lecture d'auteurs comme Descartes, Kant ou Spinoza, qui affirment avoir la foi. Ils m'intriguaient et m'imposaient le respect pour ceux qui croient. Ayant examiné rationnellement les choses, je m'étais dit que je ne pourrai pas répondre à la question de l'existence de Dieu avec la raison pure. J'étais alors devenu agnostique. Je pense d'ailleurs qu'un philosophe est forcément agnostique. De même qu'il existe des arguments non décisifs en faveur de Dieu, de même les arguments en sa défaveur ne s'avèrent guère plus décisifs. J'étais ainsi passé d'un athéisme familial à un agnosticisme réfléchi... que je n'ai d'ailleurs pas quitté. Aujourd'hui, je suis un « agnostique croyant ». Dans mon récit, je montre que le trajet qu'on effectue avec la seule raison ne mène nulle part. Lorsqu'on me demande si Dieu existe, je réponds : « je ne sais pas mais je crois que oui ». Mon ami André Comte-Sponville dira « je ne sais pas, je crois que non ». Une troisième position serait celle de l'indifférence : « Je ne sais pas et je m'en fous » - ce qui est aussi honnête ! L'imposture commence quand des gens disent qu'ils savent : voilà les intégristes - qu'ils soient athées ou religieux.
En quoi cette expérience mystique a-t-elle changé votre vision de la mort ?
Ce qui a changé, c'est que je n'y pense plus. Avant, j'étais obsédé de façon narcissique par ma fin ; obsédé de façon amoureuse par la disparition des autres. Ces coups de poignard m'ont été enlevés. Je ne sais rien de la mort. La pire chose qui puisse arriver à la question : « Qu'est-ce que la mort ? », c'est une réponse. La mort constituera éventuellement une bonne surprise, à laquelle, cependant, je ne veux pas songer. Je me laisse porter par la vie, je me laisserai porter par la mort.
Pensez-vous retourner un jour dans le désert ?
(Silence) En fait, j'aimerais mourir dans le désert. Parce que c'est là que ne suis né une deuxième fois. Aucune tristesse : je rendrai à l'infini la petite part de fini que j'ai été. Je rejoindrai l'immense...
Que reste-t-il en vous de cette béatitude connue dans le désert ?
La capacité de m'émerveiller (silence). Dans Oscar et la dame rose, c'est ce que je fais dire à mon héros : « Vivre tous les jours comme si c'était la première fois », contrairement à ce qu'énonce Tolstoï : « Vivre tous les jours comme si c'était la dernière fois ». Il faut lutter contre la lassitude de vivre, l'illusion de savoir, de déjà vu. Il faut vivre chaque instant comme une aube... C'est cela, avoir la lumière en soi. J'appelle parfois cette attitude cultiver l'esprit d'enfance, parce qu'il me semble que les enfants ont ces capacités : celle de s'étonner - première vertu philosophique selon Platon -, de s'émerveiller, d'accueillir le monde, l'humilité de penser qu'ils sont entourés de mystère. L'enfant sait qu'il ne sait pas - autre vertu philosophique selon Socrate. Ces qualités que l'on perd progressivement, c'est comme si cette nuit les avait réactivées. Avant, j'avais le corps qui partait d'un côté, la tête qui partait d'un autre, le coeur qui partait ailleurs... J'étais totalement disparate. Cette nuit au désert m'a harmonisé.
Sur un tout autre sujet, en 2008, vous avez consacré un livre, Ulysse from Bagdad, au sort de ces clandestins qui tentent de reconstruire leur vie ailleurs. Quel regard portez-vous sur la crise actuelle des migrants ?
Je suis scandalisé. Scandalisé par notre inhumanité. Qui sont les migrants ? Ce sont des êtres qui demandent une place sur Terre pour vivre et travailler, et on la leur mégote sous prétexte que nous étions là avant ! On crée une humanité à deux étages : ceux qui ont le droit d'être là, ceux qui n'en ont pas le droit. Pour moi, cette distinction relève de la barbarie. Le barbare est celui qui croit qu'il existe des êtres inférieurs. Cela dit, je reconnais que je ne détiens pas la solution. Mon regard sur cette question reste celui d'un humain qui voit un autre humain ; je refuse catégoriquement de me penser supérieur, d'agir en supérieur. Ce qui m'atterre, c'est de repérer des politiques articulées sur cette haine de celui qui ne doit pas être là. Mais qui est plus légitime qu'un autre sur Terre ? Cette conception d'une humanité à deux vitesses exprime la barbarie. Et la barbarie parle fort. La barbarie a des partis organisés. La barbarie fédère.
L'écriture, pour vous, est-elle une manière de vous mettre à l'abri du fracas du monde ?
Non. C'est une manière de trouver une boussole pour marcher dans ce monde fracassé. Lorsque j'entame la rédaction d'un livre, j'ignore comment les idées vont s'articuler. Je n'écris pas pour dire ce que je pense, j'écris pour découvrir ce que je pense. La plume va me le permettre en m'offrant des subtilités, des méandres que je n'aurais pas soupçonnés sans elle. Le stylo m'offre une lumière qui me permet de voir ce qui se passe dans mon esprit ou dans le monde. Écrire ne consiste pas à se retirer du monde, mais plutôt à s'en écarter un instant pour y ré-intervenir en proposant une autre lecture du monde. Je me vois comme un écrivain engagé. Cependant, il faut d'abord s'abstraire du monde pour devenir un écrivain engagé.
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Éric-Emmanuel Schmitt Romancier et dramaturge franco-belge. Sont récemment parus : Madame Pylinska et le secret de Chopin (Le Livre de Poche, 2020), Journal d'un amour perdu (Albin Michel, 2019), Félix et la source invisible (Albin Michel, 2019), La Nuit de feu (Le Livre de Poche, 2017).
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Par Christelle Bouley le 11 Avril 2020 à 10:06
Comment expliquer l'actuel regain d'intérêt pour les pratiques de retrait du monde?
Ces pratiques concernent autant des non-croyants que des croyants. Le retrait du monde a dépassé le clivage entre le profane et le sacré. L'intérêt pour les cabanes au fond des bois ou les monastères vient de ce que l'agitation n'y est pas valorisée. Ce sont des bulles méditatives qui permettent d'assumer le plaisir de s'évader tout en ayant la certitude que ces pas de côté sont des épisodes dont on revient. On sait qu'on dispose encore de cette liberté-là.
Quels sont les grands courants de pensée qui se sont fondés sur ce retrait de la société ?
De Diogène le Cynique au chamanisme des régions circumpolaires, la solitude volontaire a une double vertu. Elle agrandit le périmètre de l'âme en réinsérant l'individu dans un univers plus vaste que son ego. Elle l'autorise par ailleurs à dénoncer les anomalies éventuelles de la vie en collectivité. Les ermites eux-mêmes ne restent pas muets au fond de leurs grottes. Dans la tradition politique américaine, ils s'expriment haut et fort. Toutes ces figures liminaires commentent la société.
Il y a donc un geste politique, citoyen, dans le retrait du monde ?
Le but du retrait du monde est à la fois personnel et politique. C'est pourquoi le retrait est souvent un besoin éphémère, parfois recommencé, mais plus rarement une condition définitive. Dans la majorité des cas, il correspond à une phase de redéfinition du rapport à soi, au corps social, aux milieux naturels, etc. On prend le temps de réexaminer ses actes et ses convictions. Puis on envisage des manières nouvelles de s'engager dans la vie commune.
La solitude est une excellente chose, si elle ne dure pas.
Qu'est-ce qu'on cherche et qu'est-ce qu'on fuit dans l'expérience de la solitude volontaire ?
On fuit un malheur professionnel, amoureux, familial, ou l'on recherche simplement un autre style d'existence. Quel que soit le cas, je tiens à l'adjectif « volontaire ». Il signifie que la solitude est liée à une quête. Elle inaugure un voyage réel ou imaginaire. Dans le film de Sean Penn Into the Wild, Christopher McCandless avait prévu, au bout de son escapade vers l'Alaska, de revenir, de trouver un emploi et de fonder une famille. Il avait imaginé une expérience sauvage dont l'issue devait être conventionnelle. Il voulait d'abord vivre à plein régime les imprévus de l'aventure.
Quels sont les lieux qui symbolisent le retrait du monde ?
Je pense aux navigations en solitaire ou aux gompas [temples bouddhistes fortifiés, ndlr] tibétains bâtis à flanc de rochers. Le terme de « solitude » a longtemps connoté des endroits supposés sans vie. Il a pris assez récemment un sens subjectif. C'est ainsi que le retrait du monde a été associé aux lieux qui exaltent le sentiment de solitude, dont la mer et la montagne. Les grands espaces permettent à l'œil humain de regarder au loin. Une telle profondeur lui redonne une qualité animale.
La solitude est-elle le contraire de la société ?
Dans la solitude volontaire, on joue autant avec la solitude qu'avec la société. Le problème est qu'il semble plus facile de jouer avec la première qu'avec la seconde. De Montaigne au moine américain Thomas Merton, une même prudence s'exprime néanmoins : la solitude est une excellente chose, si elle ne dure pas. Même lorsqu'elle est choisie, elle s'avère difficile à supporter au long cours. Aussi les solitaires ont-ils l'habitude de se regrouper. Ils savent que désir de solitude et désir de société ne s'opposent pas.
Ce qui compte, est-il alors rapporté, c'est l'intensité de la vie dite «intérieure» et la résonance avec le monde lui-même dit «extérieur».
De quelle manière le contact avec la nature permet-il, comme vous le dites dans votre livre*, de « faire du solitaire un solidaire » ?
Au milieu du XIXe siècle, l'écrivain américain Henry David Thoreau nous rappelle que la nature offre un point d'ancrage et un point de vue. Point d'ancrage car l'observation des haricots qui poussent et l'écoute du chant des oiseaux procurent au philosophe le sentiment de faire partie d'un ensemble de relations vivantes. Point de vue car il quitte « presque chaque jour » sa cabane de l'étang de Walden pour rejoindre le village de Concord et prendre des nouvelles de ses amis auxquels il demande alors de se soucier de justice. Le solitaire se rend solidaire avec la vie foisonnante de la flore et de la faune comme avec celle de ses semblables. N'oublions pas que le pas de côté de Thoreau dans la forêt aiguise sa sensibilité de naturaliste et lui fournit l'occasion de préciser sa critique d'un gouvernement qui cautionnait l'esclavage.
Celui qui vit retiré du monde est-il un misanthrope ?
Ce terme n'a pas toujours été interprété de la même manière. Jean-Jacques Rousseau proposait d'appeler « homme de bien » celui que la société nomme « misanthrope ». Il laissait entendre que le misanthrope se sent prisonnier comme dans une toile d'araignée, mais qu'il n'en aime pas moins le genre humain. Si les incessantes rivalités et les petites tragédies quotidiennes des orgueils l'étouffent, il ne devient pas un ennemi de l'humanité. Le poète John Donne écrit donc avec justesse qu'« aucun homme n'est une île ».
Vous évoquez la longue tradition de l'ermitage dans les religions ; en quoi le retrait du monde ouvre-t-il l'être humain à la spiritualité ?
Le retrait du monde n'est pas une condition de la spiritualité. Il n'est pas non plus spécifique aux croyants. D'une part, bien des récits confirment que les expériences spirituelles peuvent être vécues dans des endroits non isolés, sans qu'il soit nécessaire de rompre, même temporairement, avec la société. D'autre part, le retrait du monde est de plus en plus pratiqué par des non-croyants. Ce qui compte, est-il alors rapporté, c'est l'intensité de la vie dite « intérieure » et la résonance avec le monde lui-même dit « extérieur ».
La généralisation des technologies fabrique des régimes de plus en plus mixtes de solitude volontaire.
Vous parliez de la difficulté à laquelle on peut faire face dans ces expériences de solitude volontaire et affirmez que «la solitude intérieure est une véritable épreuve». Pourquoi ?
Elle semble une épreuve aux yeux de beaucoup parce qu'y sont associés le silence et l'absence d'autrui. Mais le fond de l'affaire est celui-ci : qui éprouve la solitude intérieure s'ensauvage. Il se dépersonnalise en abandonnant sa première peau. Cette mue est un changement de masque, un voyage dont il ne connaît pas avec exactitude le point d'arrivée.
Pour parer à cette épreuve, comment préparer une expérience de retrait du monde?
Les retraits du monde s'organisent comme les voyages d'exploration. Richard Byrd en Antarctique ou Peter Matthiessen au Népal nous font comprendre que plus on calcule au millimètre une expédition et plus on augmente les chances de bien répondre à l'imprévu qui ne cesse d'arriver. Les expéditions qui réussissent sont celles qui ont été très préparées en amont. Ajuster ses réactions à ce qui survient, anticiper sans jamais miser sur l'excès, cela s'applique autant au corps qu'à l'esprit.
Est-il vraiment possible d'être seul, retiré du monde ?
Dans La Longue route, le navigateur Bernard Moitessier raconte son désir de « vivre avec la mer, vivre avec les oiseaux, vivre avec le présent ». Le suivi technique et psychologique des courses est aujourd'hui très développé. Mais celles et ceux qui naviguent en solitaire recherchent encore cette « trêve avec le monde » pour causer avec les nuages de leurs fatigues et de leurs rêves. L'artiste Abraham Poincheval, lui, s'est enfermé pendant treize jours en 2014 dans un ours empaillé au musée de la Chasse et de la Nature de Paris. Il souhaitait entrer en conversation avec l'esprit de cet animal. Au Palais de Tokyo, l'an dernier, il est resté immobile une semaine dans l'espace clos d'un rocher creux. Disons donc que la généralisation des technologies fabrique des régimes de plus en plus mixtes de solitude volontaire. Connexion et déconnexion deviennent des expériences intensément complémentaires qui se vivent en alternance.
On ne désire pas la solitude qui s'impose. Quand on veut être seul, c'est parce qu'on sait qu'on ne l'est pas vraiment.
Quelles sont les grandes figures artistiques ou philosophiques évoquant le retrait du monde qui vous semblent les plus intéressantes ?
On ne désire pas la solitude qui s'impose. Quand on veut être seul, c'est parce qu'on sait qu'on ne l'est pas vraiment. Thoreau a deviné que la solitude volontaire est un usage du monde. D'un côté, il annonce qu'il s'en va. De l'autre, il ajoute qu'il revient. Résultat : il devient « citoyen des bois » et s'emploie à rendre la société plus juste. Il a compris que la solitude volontaire rimait rarement avec le voeu de disparition.
Comment abordez-vous la thématique de la solitude volontaire dans les enseignements que vous dirigez à l'EHESS ?
Ce livre est le fruit de plusieurs années d'enseignements qui prolongeaient des recherches sur l'exil. Dans l'exil, la solitude subie est une donnée fréquente, quand bien même on est plusieurs à le vivre. Je me suis alors demandé si de cette solitude-là pouvait naître quelque chose de positif. De fil en aiguille, et en considérant aujourd'hui d'autres expériences dans le cadre de ma chaire sur les cosmopolitismes, il m'apparaît que bien des solitaires sont des « citoyens du monde » qui cherchent à voir ce qu'ils ne voient pas d'ordinaire et qui s'efforcent d'élargir leurs perceptions de la vie aux milieux tant humains que non humains.
Olivier Remaud est philosophe et directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il a publié Un monde étrange. Pour une autre approche du cosmo-politisme (PUF, 2015) et *Solitude volontaire (Albin Michel, 2017).
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