• L'individu comme force de résistance au système (thème: Seuls avec tous)

     

    Je vous conseille la lecture de cet opuscule qui se lit en une demi-heure, voire une heure si on médite sur le texte et qui comprend une soixantaine de pages. Il est téléchargeable gratuitement sur une tablette kindle. La Désobéissance civile du philosophe Henry David Thoreau est totalement d'actualité, avec les gilets jaunes qui s'opposent au pouvoir en place lorsqu'ils le trouvent injuste. Thoreau a refusé de payer ses impôts aux Etats-Unis, car il estimait qu'ils servaient à de mauvaises causes qu'il ne soutenait pas: à savoir la guerre contre le Mexique et l'esclavage des noirs. Il explique que ce qui compte, ce n'est pas de respecter la loi, mais de faire le bien, d'avoir une attitude vertueuse sans attendre que la majorité s'y soumette. La majorité ne tend pas forcément vers le bien (cf: Psychologie des foules de Gustave Le Bon). Comme le disait Victor Hugo dans son poème "Ultima verba": "Et s'il n'en restait qu'un je serai celui-là!" On doit s'opposer à tout pouvoir inique et avoir le courage de ses opinions. Thoreau a fait de la prison en raison de son refus de payer ses impôts, mais il explique que rien ne peut entraver sa liberté de conscience. On peut l'enfermer physiquement, mais on ne pourra jamais emprisonner sa conscience. S'opposer à ce qui nous semble illégitime, c'est être un homme au sens noble du terme. Il a toujours voulu joindre le geste à la parole. Faire ce en quoi on croit, malgré les risques encourus. Etre pragmatique plus que théorique.

    Thoreau est mort jeune, il avait seulement 44 ans.

     

    Une belle vidéo qui introduit le texte :

     

    Voici quelques citations tirées de son opuscule:

    "Il n'est pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le bien. La seule obligation qui m'incombe est de faire le bien." 

    "La loi n'a jamais rendu les hommes un brin plus justes, et par l'effet du respect qu'ils lui témoignent les gens les mieux intentionnés se font chaque jour les commis de l'injustice."

    "La masse des hommes sert ainsi l'Etat non point en humains, mais en machines avec leur corps."

    "Une élite, les héros, les patriotes, les martyrs, les réformateurs au sens noble du terme, et des hommes, mettent aussi leur conscience au service de l'Etat et en viennent forcément, pour la plupart à lui résister."

    "Tous les hommes reconnaissent le droit à la révolution, c'est-à-dire le droit de refuser fidélité et allégeance au gouvernement et le droit de lui résister quand sa tyrannie ou son incapacité sont notoires et intolérables."

    "Il y a des milliers de gens qui par principe s'opposent à l'esclavage et à la guerre, mais qui en pratique ne font rien pour y mettre un terme (...)."

    "Il existe des lois injustes: consentirons-nous à y obéir?"

    "Si, de par sa nature, cette machine veut faire de nous l'instrument de l'injustice envers son prochain, alors je vous le dis, enfreignez la loi."

    "En outre, tout homme qui a raison contre les autres constitue déjà une majorité d'une voix."

    "Si un seul honnête homme cessait, dans notre Etat du Massachussetts de garder des esclaves, venait vraiment à se retirer de cette confrérie, quitte à se faire jeter dans la prison du Comté, cela signifierait l'abolition de l'esclavage en Amérique. Car peu importe qu'un début soit modeste: ce qui est bien fait au départ est fait pour toujours."

    "Je n'ai payé aucune capitation depuis six ans ;  cela me valut de passer une nuit en prison (...). Je compris que, si un rempart de pierre s'élevait entre moi et mes concitoyens, il s'en élevait un autre, bien plus difficile à escalader ou à percer, entre eux et la liberté dont moi, je jouissais. Pas un instant, je n'eus le sentiment d'être enfermé et les murs me semblaient un vaste gâchis de pierre et de mortier."

    "Si une plante ne peut vivre selon sa nature, elle dépérit. Un homme de même."

     

    Prolongement (extrait d'un article sur Thoreau, tiré de Sciences humaines)

     

    "Une nuit en prison

    Pour avoir refusé de payer ses impôts en protestation contre l’esclavagisme et contre la guerre au Mexique, le philosophe passe une nuit en prison en 1846. Dans Résistance au gouvernement civil, écrit en 1849, (rebaptisé De la désobéissance civile), il théorise et légitime ce qu’il vient de faire et qu’il nomme la désobéissance civile. Au cœur de cet essai, il décrit l’individu comme seul souverain. Il légitime sa résistance au gouvernement, au nom d’une éthique personnelle de la justice. L’État est vu comme une machine dont il faut contrôler les abus : « Que votre vie soit une force de frottement pour stopper la machine », exhorte Thoreau.

    On comprend dès lors sa méfiance vis-à-vis d’un gouvernement établi sur le seul critère de la majorité qui n’est rien d’autre qu’une loi du plus fort et la victoire du conformisme. D’où une défiance envers le vote, qui ne saurait se suffire à lui-même : voter, « ce n’est rien faire pour la justice. Cela revient à exprimer mollement votre désir qu’elle l’emporte ». Un sage « n’abandonne pas la justice aux caprices du hasard », écrit un Thoreau excédé par le somnambulisme coupable de ses contemporains face à l’esclavage.

    La désobéissance s’impose parfois comme un devoir quand l’individu ne parvient plus à se reconnaître dans sa propre société. Aussi le consentement aux lois et aux normes doit être sempiternellement questionné. Loin de mettre à mal la démocratie, la contestation et la résistance assurent sa survie. La démocratie véritable se forge dans la self-reliance ou « confiance en soi », un concept instauré par Emerson pour dire cette possibilité du veto, la récusation du conformisme et de la résignation. C’est dans cette optique que s’inscrivent ceux qui, d’Edward Snowden aux pratiquants du « délit de solidarité », en passant par Occupy Wall Street, justifient le devoir de désobéissance civile au nom de valeurs de justice qui leur paraissent supérieures."

     

    Biographie

    1817 : naissance de Thoreau le 12 juillet à Concord (Massachusetts).

    1833 : Thoreau étudie à Harvard.

    1836 : parution de Nature, de Ralph W. Emerson

    1837 : Thoreau commence à écrire son journal.

    1840 : premier numéro de The Dial, la revue transcendantaliste à laquelle participe Thoreau, avec Emerson, Margaret Fuller, Amos Bronson Alcott, Jones Very.

    1845 : Thoreau construit une cabane sur les rives du lac Walden puis s’y installe pour une retraite pastorale.

    1846 : le 25 juillet, Thoreau passe une nuit en prison en raison des impayés d’impôts locaux (six ans d’arriérés). Il en sort grâce à sa tante qui paye ses arriérés.

    1847 : retour de Thoreau à la civilisation, qui tient une conférence sur son séjour à Walden.

    1849 : parution de De la désobéissance civile.

    1851 : Thoreau affecte beaucoup de temps à l’écriture de son journal et prononce des conférences.

    1854 : parution de Walden ; conférence « L’esclavage au Massachusetts ».

    1859 : pendaison de l’abolitionniste John Brown dont il fait l’éloge funèbre ; plaidoyer pour John Brown.

    1860 : l’état de santé de Thoreau se dégrade.

    1861 : parution de Marcher.

    1862 : mort de Thoreau le 6 mai, à Concord, à 44 ans.

    1864 : parution de Les Forêts du Maine, à titre posthume.

    1865 : parution de Cape Cod, à titre posthume.

    1906 : parution du Journal de Thoreau, à titre posthume. 

     


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  • Sur les bienfaits de la solitude et de la meditation

     

    S'EFFACER DU MONDE (article tire du Monde des religions)

    Le désert met l'âme à nu.

    « Si nous désirons apprendre de quels soucis, de quels problèmes, de quelles ambitions nous sommes constitués, il nous suffit d'arpenter quelques jours le désert. »

     Le désert met l'âme à nu.

     

     

    Depuis des siècles, le désert se révèle la meilleure adresse de la vie intérieure. La nature, austère, quintessenciée, s'y simplifie, se réduisant au minéral - pierre, sable, poussière, étoiles - avare d'eau, chiche de vie, hostile au végétal autant qu'à l'animal. Cet environnement peu accueillant, qui ne nous promet que la souffrance ou la mort, humilie le corps, mais développe l'esprit. Qui a marché dans le désert se sait minuscule, misérable. Qui a traversé des massifs montagneux millénaires a perçu qu'il s'apparentait à un moustique furtif glissant à la surface du monde. Qui a couché au creux d'un oued, écrasé par un firmament paré d'étoiles si brillantes et si proches qu'on les croit à portée de main, a médité sur l'immensité puis saisi qu'il se limitait à un animal fini dans un cosmos infini. Très physique, le désert suscite la métaphysique.

    D'abord, il nous dépouille : on n'y possède plus rien, on y entre tout au plus riche d'un sac sur le dos, qu'on peine à porter, dont on regrette vite les objets superflus. La plus considérable fortune n'empêchera jamais d'avoir soif, les dollars ne feront surgir ni l'ombre ni la source, un toit s'avère moins utile qu'un drap.

    Ensuite, il révèle chacun à lui-même. La marche finit par écarter les pensées parasites pour nous conduire, puis nous maintenir sur le chemin de notre vérité. Si nous désirons apprendre de quels soucis, de quels problèmes, de quelles ambitions nous sommes constitués, il nous suffit d'arpenter quelques jours le désert. Il met l'âme à nu.

    Enfin, son silence peut nous faire entendre Dieu. Paradoxe : son vide nous présente parfois le plein ! J'ai eu la grâce de vivre cela. En 1989, dans le désert du Hoggar, je fus témoin de la présence de Dieu durant une nuit mystique, une nuit que j'ai appelée La Nuit de feu dans le livre que je lui ai consacré.

    Dieu habite-t-il le désert ? Est-ce pour cela que les déserts sont, depuis si longtemps, les lieux fondateurs du monothéisme ? Je ne le pense pas. Si Dieu est, il est partout. En revanche, nous ne sommes pas nous-mêmes partout. En ville comme à la campagne, au milieu du bruit, des urgences, des lois, des tâches, des liens et des entraves, nous oublions souvent qui nous sommes, quelle soif nous définit ; le désert, en nous éloignant de la société, nous rapproche de nous-mêmes. Là, l'animal vulnérable, habité par des questions, traversé d'un désir d'absolu, entrevoit éventuellement la lumière à travers ses failles.

    Beaucoup de gens m'avouent craindre le désert. Quelle erreur ! Pressentant avec justesse le dérangement d'un grand rendez-vous, ils confondent la peur et l'envie. Je leur conseille toujours de céder à leur peur, c'est-à-dire à leur envie.

    - Y a-t-il un désert dans ton pays ? me demanda un jour le Touareg qui me guidait dans le désert.

    Je le déçus et l'inquiétai en secouant négativement la tête.

    - Alors comment fais-tu ? s'exclama-t-il, consterné.

    Sa question signifiait : comment fais-tu pour réfléchir ? La vie intérieure se fortifie du vide extérieur. Là-bas, parviens-tu à te sentir libre ? La nature t'impressionne-t-elle par sa puissance ? La contemples-tu ? L'admires-tu ? À quel endroit vénères-tu sa pureté ? Trouves-tu ta place dans un univers exhaustivement humain ? N'étouffes-tu pas parmi ces millions de gens et d'objets ? Où te réfugies-tu lorsque tu veux te retirer, te réjouir d'exister ?

    En réponse, je lui désignai le ciel...

    Éric-Emmanuel Schmitt

    Écrivain et dramaturge franco-belge, il a publié de nombreux romans et récits dont Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran (Albin Michel, 2001) et La Nuit de feu (Albin Michel, 2015).
     
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    Les mots-clés en rapport avec le thème "seuls avec tous" et l'article de l'écrivain:
    solitude et vie intérieure, solitude et transcendance, solitude et joie d'exister, solitude et spiritualité, béatitude, plénitude, vide et plein, le désert et le lien avec notre intériorité...
     

     

     

     


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  • Sur les Bienfaits de la solitude

     

    S'EFFACER DU MONDE

    Focus Société. Ces jeunes qui réinventent les retraites

     

     

    «En quelques années, les effectifs de jeunes s'inscrivant aux retraites ont explosé », témoigne Louis Nagot, co-fondateur de Wake Up, une antenne parisienne du Village des Pruniers (le centre fondé en Dordogne par le maître zen Thich Nhat Hanh). Qui a dit que les retraites sont une affaire... de retraités ? Pour s'en convaincre, une recherche sur Google permet de découvrir l'offre croissante de temps hors du monde adressée à la jeunesse. Religieux ou laïques, il y en a pour toutes les sensibilités : des vacances en monastère aux stages de méditation, en passant par des week-ends halal dans le désert. L'attrait des jeunes pour ces expériences n'est pas nouveau en soi. Souvenons-nous de la vague de départs des hippies dans des ashrams au siècle dernier. « Le besoin de sens et de silence est inhérent à l'être humain, mais cette soif s'exprime dans une forme nouvelle au sein de cette génération », décrypte Inès Weber, psychologue co-fondatrice du Sésame, centre de culture spirituelle et auteur d'une enquête sur la spiritualité des 18-35 ans. « Une double exigence caractérise cette quête, poursuit la psychothérapeute : une certaine liberté d'autodidacte et un désir de profondeur, en réaction au contexte consumériste et hédoniste de la société actuelle. » Pour une génération sans cesse en quête de nouveaux objets et expériences, les retraites permettent de se recentrer sur son intériorité et d'attendre moins du monde extérieur. Julien, la trentaine, étudiant en sociologie, confirme que ses semaines de silence et de prière dans un centre de spiritualité ignatienne (jésuite) lui permettent de trouver en lui « cette eau qui ne donne plus soif. »

    Contemplation contre réseaux sociaux

    Entre les études ou le travail, les sorties et les loisirs, sans compter les constantes sollicitations générées par les écrans, le rythme de vie actuel est effréné pour nombre d'entre eux. « Au Village des Pruniers, en vivant tout au ralenti et en pleine conscience, j'ai compris que notre tendance à faire plusieurs choses en même temps est surtout un désir de fuite », raconte Céline, 25 ans, étudiante en droit. Aussi, ces temps de retour sur soi aident à se déconnecter des réseaux sociaux avec lesquels ont grandi les moins de 35 ans. Et des modes de relation à soi et aux autres que ces nouveaux outils ont engendrés. « Après ma retraite de yoga en Inde, confie Margaux, 28 ans, en postant une photo de moi sur Instagram, j'ai réellement pris conscience d'à quel point j'attendais la validation des autres ». En outre, certains types de retraites répondent au besoin de cette génération à vivre des relations authentiques, comme dans la communauté chrétienne oecuménique de Taizé ou au Village des Pruniers. Ceux-ci mettent en place des moments de partage et de parole. « Ici, on peut vraiment être soi. Je parle aux gens sans avoir peur de ce qu'ils peuvent penser de moi », confie Églantine, laquelle organise des sessions à Taizé. Mais ces coupures ne sont pas de tout repos. Dans les centres traditionnels, il est souvent demandé de s'astreindre à une discipline stricte marquée par le travail manuel et de longues heures d'une pratique contemplative. Un paradoxe qui n'en est pas un pour cette jeunesse éprise de liberté. Selon Inès Weber, « l'usage hédoniste que nous donne notre liberté dans cette société est extrêmement pauvre, et ne nous offre pas les moyens de travailler notre muscle du désir de l'essentiel ». Et l'expérience d'un cadre empêchant « de vouloir tout et son contraire », permet, toujours selon la psychologue, d'accéder à une liberté plus profonde, souvent inaccessible aux jeunes autrement. Pour autant, plus rares sont les jeunes cherchant une fuite définitive du monde. Quand ceux-ci s'isolent temporairement de la civilisation, c'est pour mieux la retrouver. Et mieux la transformer, comme en témoigne Ariane Vitalis, fondatrice d'Un Monde réenchanté, organisant des voyages introspectifs destinés aux jeunes culturels créatifs. « Ma génération ne veut pas être coupée du monde, mais contacter le meilleur de soi-même dans le silence et l'intériorité pour ensuite offrir le meilleur de soi à la société, à travers des projets sociaux ou écologiques par exemple. » Loin de n'être que des « retraités », ces jeunes sont des méditants militants. 

     

     


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  • Les bienfaits de la solitude choisie

     

    Présentation du dossier:

     

    DOSSIER

    S'effacer du monde

     

    Retraites dans le désert ou en Amazonie, méditation, séjours monastiques... Ces expériences attirent un public grandissant qui cherche à rompre, pour un temps, avec le rythme effréné du quotidien. Renouer avec l'essentiel, retrouver le goût de l'authentique, se plonger dans ce silence qui fait défaut à nos sociétés... Que cherche-t-on dans la solitude ? Et comment cette expérience nous transforme-t-elle ? Un dossier indispensable pour aborder sereinement la rentrée.

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    SOLITUDE ET SILENCE

    Sortir de soi

    André Comte-Sponville, philosophe, est l'auteur de L'inconsolable et autres impromptus (PUF, 2018).

     

    Les mots « solitude » et « silence » m'ont toujours paru aller droit vers l'essentiel. Mais « intériorité », non. Ce dernier vocable me fait plutôt penser à ce que Sartre appelait « la moite intimité gastrique », celle de la « vie intérieure », qu'il opposait à ce que Husserl nommait « l'intentionalité », autrement dit le fait que toute conscience est « conscience d'autre chose que soi ». Et d'expliquer : « La conscience n'a pas de "dedans" ; elle n'est rien que le dehors d'elle-même. [...] Que la conscience essaye de se reprendre, de coïncider enfin avec elle-même, tout au chaud, volets clos, elle s'anéantit. [...] Tout est dehors, tout, jusqu'à nous-mêmes : dehors, dans le monde, parmi les autres. » Et c'est ce que la méditation, chaque jour, me confirme. 

    « Que reste-t-il alors, demandera-t-on, de la solitude ? » Il en reste l'essentiel : la singularité banale d'être soi, de vivre cette vie-là, que personne ne saurait vivre à votre place, ni comme vous, ni même tout à fait avec vous. C'est pourquoi j'ai pris l'habitude de distinguer la solitude, qui est une dimension de la condition humaine, de ce que j'appelle l'isolement, qui est un accident ou un échec de la vie sociale ou affective. Que chacun soit seul à être soi, qu'il y ait en lui quelque chose d'impénétrable, d'incommunicable, nous le savons tous. Loin que cela interdise toute relation avec autrui, c'est la condition d'une relation authentique : seul celui qui accepte sa propre solitude, montre le psychanalyste Winnicott, est capable de rencontrer la solitude de l'autre. Encore faut-il que cette rencontre soit possible et vraie, qu'elle ne se limite pas à quelques formules de politesse ou à quelques commentaires routiniers sur le temps qu'il fait - encore faut-il qu'on ne soit pas isolé ! Moines et moniales, dans leurs monastères, le savent bien. La vie en communauté, qui est le contraire de l'isolement, ne supprime pas la solitude : elle permet de l'habiter d'autant plus profondément qu'on sait n'être pas isolé. 

    Je dirais volontiers la même chose du silence : qu'il en existe deux sortes différentes. Le silence peut être une prison, comme l'isolement qui l'accompagne si souvent : quand toute parole semble impossible ou vaine, quand on n'a personne à qui parler, personne qui vous écoute ou vous comprenne. Silence subi, qui est une souffrance presque toujours : c'est l'échec ou l'impossibilité de la parole. 

    Mais il est un autre silence, non plus subi mais choisi : parce qu'on a compris que l'essentiel n'est pas dans le discours mais dans l'esprit ou le coeur, non dans les mots mais dans la contemplation ou l'action. Ce silence-là n'est pas l'échec de la parole mais le refus du bavardage, non une prison mais une ouverture : silence de l'écoute ou de l'attention, de l'amour ou du travail, de la prière ou de la méditation. Les moines, là encore, dans toutes les religions, même sans Dieu, nous en donnent l'exemple, comme beaucoup d'entre nous, même sans religion, en redécouvrent le besoin. Il ne s'agit pas - en tout cas pour les laïcs - de se taire toujours, mais de laisser au silence sa place, qui est celle de la sensation muette, de l'attention pure ou de la vérité sans phrase. 

    Je comprends mieux pourquoi les ermites m'ont toujours paru outranciers. Ils ne se contentent pas de la solitude commune, ni de moments, fussent-ils longs, de silence : ils veulent l'isolement et le mutisme. Le Bouddha, qui en fit l'essai, y renonça vite. Et pourquoi la « vie intérieure », si vantée, me laisse elle aussi réticent. Ne confondons pas la vie spirituelle et « la moite intimité gastrique », ni la prière ou la méditation avec l'introspection ! Nous avons mieux à faire que nous contempler perpétuellement le nombril ou l'âme ! « Entrer en soi-même », comme on dit, et certes il le faut parfois, n'a de sens que pour en sortir - pour s'ouvrir au monde ou à Dieu, aux autres et à tout. On y parviendra d'autant mieux qu'on acceptera de se taire parfois, et d'être seul - quoique non isolé - toujours. 

     

     


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  • Seuls ensemble

    Ecriture personnelle (correction)

     

    Sujet : Selon vous, en quoi la vie moderne peut-elle accentuer le sentiment de solitude au sein de la société ?

     

    I-Analyse des mots-clés

    -vie moderne : à différencier d’époque contemporaine. La modernité, c’est le développement technologique à partir de la création de la télévision. C’est aussi la création des grandes villes qui s’industrialisent comme dans le texte de Céline.

    -solitude : faire la distinction entre une solitude libre, choisie (comme la retraite spirituelle ou la méditation, la lecture) et une solitude subie et donc triste (comme celle de Bardamu dans le texte de Céline ou celle décrite par Hannoun).

    -accentuer : l’augmenter, le rendre plus fort, plus important.

    -société : ensemble d’individus vivant ensemble et réunis parfois autour de valeurs communes.

    Plan analytique :

    I-Constat I-La solitude vécue comme un isolement

    II-Effets II-Les effets pervers des technologies modernes

    III-Solutions III-Possible retour au collectif

     

    II-Rédaction de l’écriture personnelle

     

    Introduction

      De nouvelles formes de solitude émergent dans notre société, en raison du développement de la technologie numérique. Les gens préfèrent par exemple être connectés à distance plutôt que d’échanger avec les personnes qui les environnent. Le sentiment d’être seuls au milieu de la foule ou de membres de sa famille et amis n’est pas nouveau. Le texte de Céline l’atteste. En somme, on peut se sentir isolé, alors qu’on est entouré de monde.

       En quoi la vie moderne peut-elle accentuer le sentiment de solitude au sein de la société ?

      Nous nous interrogerons tout d’abord sur la solitude vécue comme un isolement. Nous poursuivrons sur les effets pervers des technologies modernes. Enfin, nous terminerons sur le possible retour à un lien collectif grâce au numérique qui peut avoir un effet ambivalent sur les gens aussi bien positif que négatif en fonction de l’état d’esprit qui est le nôtre.

     

    Développement

    I-La solitude vécue comme un isolement

      Tout d’abord, l’époque moderne se caractérise par l’utilisation d’objets connectés dans toutes les sphères sociales. Turkle note que concentré sur son écran, chacun s’isole et par conséquent se désintéresse des personnes qu’il côtoie, créant un fossé entre les individus. Quelques-uns peuvent même poursuivre une conversation téléphonique sans aucune discrétion, ne tenant pas compte des personnes anonymes et pourtant présentes qui les entourent. C’est alors que celui qui écoute sans l’avoir demandé ressent une impression d’isolement imposé. Cette indifférence de la foule vis-à-vis de l’individu se retrouve chez Céline, puisque Bardamu se sent exclu du monde qui l’entoure, bien qu’il lui fasse envie. Il voudrait partager des moments de tendresse et de chaleur humaine avec les femmes qui sont autour de lui, mais personne ne s’intéresse à lui, sans compter qu’il a faim et qu’il est sans argent. On peut donc imaginer qu’il est peu attirant, parce qu’il ne possède rien qui pourrait attiser la vanité des femmes dont les yeux sont rivés sur les vitrines de magasin. Le personnage de Meursault dans L’Etranger de Camus est également un être isolé, mais chez lui, c’est son indifférence qui le coupe des autres. Son vide émotionnel le fait vivre dans une bulle où ni la mort de sa mère qui fut un enterrement sans larmes, ni sa condamnation à mort ne l’affectent. Il est étranger au monde absurde dans lequel il vit, car il ne sait pas pourquoi il est là, qu’aucune passion ne l’anime. Son vide émotionnel l’enferme dans un monde qu’il n’habite pas. Tout peut arriver sans qu’il en paraisse contrarié.

     [Transition] L’être humain, en raison des comportements individualistes de chacun ou de son indifférence au monde, peut se sentir isolé, mais les effets pervers des technologies modernes peuvent aussi contribuer à ce sentiment d’exclusion.

     

    II-Les effets pervers des technologies modernes

     Ensuite, on constate que ce n’est pas la technologie elle-même qui isole mais l’usage que l’on en fait. A la fin du XIX ème siècle, l’automatisation des activités professionnelles, l’homme étant remplacé en partie par la machine, participait déjà de l’isolement dans le travail. Le film de Charlie Chaplin, Les Temps modernes évoque ce changement et le malaise qu’il engendre. Charlot devient un véritable automate, esclave des machines qui l’entourent et le dominent. Un jour, ne parvenant pas à suivre la cadence, il se trouve pris au piège de la chaine de montage sans que ses collègues ne parviennent à le secourir. Sur un mode plus tragique, le film « Brazil » de Terry Gilliam montre les conséquences tragiques d’une bureaucratie où les tâches sont individualisées et robotisées à l’extrême. Le travailleur a le sentiment d’être déshumanisé. Au Japon, certaines personnes, les hikikomori, ne sortent quasiment plus de chez elles ou tard le soir pour être sûres de ne croiser personne. Ce phénomène, apparu dans les années 1980, s’est depuis internationalisé.

     

    III-Possible retour au collectif grâce au numérique

     Par ailleurs, le sentiment d’isolement provient d’une montée des individualismes. Pour pallier cette tendance dans le monde du travail, on a crée les open spaces dans lesquels les bureaux ne sont plus séparés par des cloisons, favorisant une meilleure communication entre les employés, tout en ménageant des espaces clos qui permettent à chaque travailleur de pouvoir s’isoler de temps en temps. Les associations ont de plus en plus recours au numérique pour transmettre l’information, tout comme les établissements scolaires. Cela permet une meilleure circulation des idées et une plus grande cohésion de groupe. Ensuite, les gens se retrouvent et peuvent échanger, aider, mais la communication a pu avoir lieu grâce au numérique en amont.

     

    Conclusion

     Pour conclure, on peut dire que ce n’est pas le progrès technologique qui est un méfait pour l’homme, mais bien ce que chacun en fait, le rapport qu’il entretient avec l’objet connecté. Il semblerait qu’il faille favoriser aujourd’hui une nouvelle éducation à ce sujet pour éviter les dérives de l’isolement excessif. Les nouveaux moyens de communication permettent des échanges bien plus rapides et donc plus efficaces, encore faut-il les consommer avec modération et ne pas sacrifier les échanges réels et physiques à la communication à distance.


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